L’enracinement du stationnement dans les villes
Depuis la seconde moitié du 20e siècle, les villes sont aménagées en fonction de l’automobile. La ségrégation des activités et la faible densité du cadre bâti ont accru les besoins de déplacement en automobile et, par conséquent, la demande en stationnement. Rapidement, le stationnement sur rue n’a plus suffi à combler cette demande. Les municipalités ont alors adopté le principe selon lequel chaque activité doit assumer les besoins de stationnement qu’elle crée, par le biais de normes minimales de stationnement pour chaque nouvelle construction.
En parallèle, les organisations, les particuliers et les promoteurs ont fait le même calcul. En dehors des questions financières, le principal critère de localisation d’une activité ou d’un équipement est désormais celui de l’accessibilité routière, dont le stationnement est un ingrédient majeur. Bernardo Trujillo popularise dans les années 1950 la formule « no parking, no business » qui dicte encore majoritairement la localisation des activités socioéconomiques nord-américaines.
Cette hantise du manque de stationnement que partagent les acteurs municipaux et les décideurs immobiliers tire donc l’offre à la hausse. Le stationnement marque aujourd’hui profondément le paysage des villes, mais aussi leur fonctionnement.
L’influence du stationnement sur la dynamique urbaine
Les multiples enjeux que soulève le stationnement touchent à des domaines variés de l’urbanisme :
- La mobilité et l’accessibilité aux activités et aux équipements;
- L’occupation de superficies considérables, au détriment des autres usages ou modes de déplacement, et de la compacité du cadre bâti;
- La vitalité des centralités, souvent liée à un manque ou à une suroffre de stationnement;
- Le coût collectif, puisque les stationnements publics génèrent en moyenne des revenus moindres que les dépenses associées à leur aménagement et leur entretien;
- La qualité du milieu de vie, puisque le stationnement nuit à la création de milieux de vie conviviaux et à échelle humaine;
- Les nuisances générées, en particulier par le stationnement de surface;
- L’équité entre les différents publics et entre les usagers des différents modes de déplacement.
Types de stationnement et gestion de l’offre
La gestion de l’offre de stationnement est complexe, en partie à cause de la multitude des types de stationnement, sur rue, mais surtout hors rue.
Les mythes du stationnement
Avec le statut d'intouchable qu'a acquis le stationnement au fil des ans, bien poser la question du stationnement suppose de désamorcer au préalable les principales idées reçues à son sujet.
Le stationnement, une nécessité
Aux yeux de plusieurs, influencés par la croissante dépendance à l’automobile et la formule encore peu contestée du « no parking, no business », le stationnement est une nécessité et sa disponibilité, à la porte, est primordiale. Cette idée implique une double relation économique erronée entre le stationnement et l’aménagement urbain :
- l’effet positif du stationnement dans l’économie d’une ville;
- l’impression de gratuité du stationnement.
La multiplication des commerces dont l’implantation est basée sur l’accès aux voies rapides et l’abondance de stationnement contribue à faire naître et se multiplier des strips commerciales dégradant les milieux de vie. De plus, si l’exercice profite aux grandes entreprises, il appauvrit les rues commerciales centrales (CRE Montréal, 2014), où se trouvent de plus petits commerces aux retombées locales plus importantes.
L’illusion de la gratuité du stationnement, quant à elle, tient au fait que les coûts qui lui sont reliés sont absorbés par d’autres (ex. employeurs, commerçants, municipalité) et bien souvent redistribués indirectement via l’hypothèque, les taxes, etc. En réalité, le coût de construction d’une case de surface revient à 13 100 $ en moyenne au Canada, et à 33 800 $ pour un stationnement en ouvrage (The National Parking Association, 2008). Le coût annuel d’entretien d’une case est chiffré entre 600 et 1 200 $. Si on exclut les stationnements résidentiels du calcul, l’usager ne paie directement que 5 % en moyenne de ce coût (VTPI, 2013).
Le stationnement, universel
Il est facile de se laisser convaincre, surtout quand on habite un endroit dominé par la présence automobile, que chacun doit pouvoir stationner un véhicule, et ce, où qu'il aille. Or, c’est négliger la grande variété des besoins, notamment en fonction du niveau socioéconomique, du lieu de résidence, de la présence de transport en commun, ou encore de la proximité des services du quotidien (Ville de Montréal, 2004).
À l’instar des aéroports qui considèrent la durée d’utilisation et des centres commerciaux qui considèrent les contraintes physiques (mobilité réduite et familles), pour déterminer la localisation des cases sur leur terrain, les municipalités auraient avantage à adopter une approche similaire. Dans les centralités, par exemple, où l’accessibilité est variée, la présence de stationnement ne devrait pas entraver les déplacements de personnes âgées ou de familles qui s’y rendent autrement qu’en automobile.
Plus il y a de cases, mieux c’est
Il apparaît inconcevable pour la plupart des automobilistes de ne pas se garer à la porte et de marcher quelques minutes après avoir fait de grandes distances en peu de temps. La gratuité des cases sur rue, ou leur coût moins élevé que hors rue, incite les automobilistes à circuler dans le quartier jusqu’à trouver une case. Justifiés par des études révélant que le stationnement explique en moyenne 30 % de la circulation dans les centres-villes congestionnés (Shoup, 2011), plusieurs réclament plus de cases de stationnement.
Il s’agit pourtant d’un mauvais calcul.
Le stationnement est omniprésent et, bien qu’il donne l’impression contraire, le taux d’occupation du parc de stationnement est faible à l’échelle d’une ville. Le manque de stationnement relève beaucoup de la perception; des plaintes émanent de secteurs où 1/4 à 1/3 des cases sont vacantes (Rye, 2011).
D’autre part, les ratios de stationnement imposés lors de la construction de bâtiments, popularisés par l’Institute of Transportation Engineers, sont des données relativement arbitraires, devenus des « standards » par mimétisme entre les villes. Loin de refléter les besoins réels en stationnement dans tout milieu, ils répondent aux besoins des milieux dépendants de l’automobile, et contribuent à leur expansion. Ils ne considèrent pas la possibilité de mutualisation ni l’existence d’alternatives de mobilité, et se basent sur la plus forte demande annuelle, ce qui entraîne un surdimensionnement systématique.
En milieu urbain, il est fréquent que le règlement exige davantage de cases que le promoteur ou le propriétaire n’en souhaite, alourdissant ainsi les coûts de construction et pénalisant les projets plus denses.
L’espace occupé par le stationnement n’est pas un problème
Les grands espaces, dans l’ADN même du Québec, inculquent une relation nonchalante à l’espace occupé par l’urbanisation. On ne voit souvent pas le problème à s’étaler sur le territoire. Pourtant, celui-ci est double :
- l’urbanisation est concurrente avec d’autres activités tout aussi vitales, l’agriculture au premier plan, sur une fraction du territoire; la zone agricole ne couvre que 4 % du Québec (Québec. CPTAQ, 2013);
- l’espace occupé par les infrastructures automobiles est économiquement inefficace et source de nuisances.
Une case de stationnement occupe une superficie de 13 à 19 m2 sur rue, et 28 à 46 m2 hors rue, en raison des voies d’accès (VTPI, 2013). L’espace dédié à l’automobile, dont les stationnements forment une grande part, atteint jusqu’à 40 % de la surface des villes (Bergeron, 2010). À force d’occuper toujours plus d’espaces, les distances à parcourir augmentent, justifiant d’autant l’utilisation de l’automobile et multipliant le nombre de cases par véhicule, pour chacune des destinations (résidence, travail, loisir et magasinage). La suroffre de stationnement génère donc un cercle vicieux qui se solde par toujours plus d’étalement.
D’autre part, les superficies asphaltées dédiées au stationnement sont sources de nuisances qui dégradent la qualité des milieux de vie (phénomènes d’îlots de chaleur, paysages déshumanisés, génération de circulation).
On ne peut pas limiter le stationnement tant que les alternatives ne sont pas présentes
Le spectre de la congestion et des autres problèmes de mobilité est souvent évoqué pour s’opposer à toute intervention visant à optimiser l’utilisation des cases de stationnement précédant l’implantation d’alternatives à l’auto-solo. Bien que des risques en ce sens existent, la réalité inverse est plus importante; l’abondance de stationnement nuit à la mise en place des alternatives à l’auto-solo.
Garantir le stationnement à destination dissuade de s’y rendre autrement qu’en automobile. À l’inverse, lorsqu’il est difficile de se stationner à l’origine ou à la destination d’un déplacement, l’avantage comparatif du transport en commun dépasse celui de l’automobile (Weinberger, 2008).
D’autre part, la valorisation de l’espace occupé par le stationnement crée des opportunités pour mettre en place des alternatives crédibles à l’accès en automobile, notamment :
- densifier le cadre bâti et ainsi davantage rentabiliser le transport en commun, raccourcir les distances, créer un cadre de rue invitant;
- améliorer l’ampleur et la qualité des réseaux piéton et cyclable, de même que le transport en commun.
Le réaménagement des aires de stationnement au profit de l’espace public contribue largement à l’acceptation des mesures d’optimisation du stationnement.
À problématique complexe, nulle solution simple
La question du stationnement en ville est plus complexe qu’il n’y paraît. Dans le contexte urbain où l’espace est limité, le stationnement entre en effet en concurrence avec les autres usages et les aménités urbaines. Les solutions sont contre-intuitives et appellent une gestion intégrée du stationnement.