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Stationnement dans les centralités

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Publication : 16 mars 2018

La centralité (p. ex. le centre-ville, la rue principale, le noyau villageois, le cœur de quartier) et le stationnement sont engagés dans un mariage malheureux. La centralité a besoin du stationnement pour accueillir une grande partie des visiteurs qu’elle attire et serait pénalisée par une pénurie de stationnement, qu’elle soit réelle ou perçue. Pourtant, les aires de stationnement peuvent altérer les atouts de la centralité à l’origine de son attractivité : le nombre et la proximité des activités socioéconomiques, l’échelle humaine du milieu, la qualité et le caractère distinctif du milieu.

La centralité, un espace convoité

Concentrant un grand nombre d’activités dans un milieu de qualité, la centralité exerce une attractivité sur un large territoire. Son périmètre restreint délimite donc un espace convoité.

Les plaintes concernant une insuffisance de l’offre de stationnement dans les centralités révèlent deux éléments sous-jacents : le désir d’accéder aux centralités, qui conservent leur attractivité, mais aussi la difficulté d’y accéder. Les municipalités peuvent y répondre sans compromettre la santé des centralités en améliorant de manière significative l’accessibilité par les modes alternatifs à l’automobile, tout en renforçant les atouts propres aux centralités.

Les facteurs de l’attractivité des centralités

L’attractivité des centralités repose sur la concentration d’emplois, d’équipements publics et de services, notamment de commerces, de restaurants et de loisirs dans un espace restreint. Elle s’appuie sur la qualité de leur accessibilité, sur la qualité du cadre bâti et des espaces publics ainsi que sur l’échelle humaine, qui favorisent la marchabilité et le caractère distinctif du lieu. Le caractère d’une centralité est un facteur essentiel de son attractivité : il correspond à son identité culturelle et à son image de marque, façonnés par son histoire et par l’ambiance qui en émane.

Les centralités exercent une force d’attraction sur une communauté qui dépasse très largement leur périmètre, générant une forte affluence sur un espace restreint, et généralement habité. Cette affluence les rend compétitives pour l’accueil de projets immobiliers d’habitations, de commerces, de bureaux et d’institutions et les dote d’une valeur foncière supérieure à celle des milieux avoisinants.

Le stationnement comme condition d’accessibilité

Le stationnement est une composante nécessaire à l’accessibilité des centralités et de leurs activités. Le manque de cases de stationnement disponibles les pénalise impitoyablement, qu’il soit systématique, qu’il soit circonscrit à certaines heures dans la journée, à certains jours dans le mois ou dans l’année, ou même qu’il corresponde à une perception faussée de la réalité. Le spectre du manque de stationnement est d’autant plus menaçant si le transport en commun, la bicyclette et la marche ne constituent pas des options crédibles, et si la centralité subit la concurrence d’autres milieux dotés d’une offre abondante de stationnements, comme des centres commerciaux ou des parcs d’affaires.

Le 16th Mall de Denver au Colorado | Source : Vivre en Ville

La compétition pour l’espace

Les résidents, les employés, les visiteurs se concurrencent pour l’accès aux cases de stationnement, chaque groupe demandant la priorité sur les autres. Par ailleurs, les municipalités et les promoteurs sont confrontés au dilemme de la valorisation de l’espace. Vaut-il mieux densifier le cadre bâti pour accueillir de nouveaux résidents, commerces, services ou emplois, ou bien prévoir davantage d’aires de stationnement pour y accéder ? Dans les rues existantes, vaut-il mieux utiliser l’espace public pour améliorer l’expérience urbaine et l’animation, en offrant des parcours piétons et des espaces de socialisation ou de repos de qualité, ou pour le stationnement sur rue ?

Examiner la question sous l’angle des finances publiques change la perspective. L’accueil de nouvelles activités et de nouveaux résidents augmente l’assiette foncière, sur des terrains d’une valeur élevée, dans des secteurs où l’offre de services répond généralement déjà aux besoins. L’amélioration des espaces publics concourt également à augmenter la valeur foncière du milieu. À l’inverse, même si le stationnement est tarifé, les voies de stationnement sur rue et les aires de stationnement créent un manque à gagner fiscal.

L'impact déstructurant des stationnements sur les centralités

Les aires de stationnement ont un impact déstructurant sur les centralités, tant sur les plans de l’échelle humaine, de l’environnement et de la santé publique que de l’accessibilité pour les autres modes de transport.

Ordres de grandeur

Une aire de stationnement occupe entre 13 et 19 m2 sur rue et entre 28 et 46 m2 hors rue, en raison des voies d’accès (VTPI, 2017). Or, dans le respect des normes minimales de stationnement à prévoir par activité (CRE de Montréal, 2014), un stationnement représente entre 34 % et 43 % de la superficie moyenne d’un logement neuf – qui était de 128 m2 en 2008, selon l’Office national de l’énergie (Québec. SHQ, 2010) –, entre 93 % et 153 % de celle de bureaux (1 case pour 30 m2) et entre 112 % et 184 % de celle d’un centre d’achat (4 cases pour 100 m2).

Ainsi, si on devait reconstruire la centralité sans dépasser un étage, les aires de stationnement privées occuperaient davantage d’espace que les bâtiments. Par conséquent, à l’image des centres commerciaux, des mégacentres et des lifestyle centers, qui regroupent pourtant de nombreuses activités commerciales et de divertissement, la centralité ne parviendrait plus à jouer un rôle aussi structurant qu’autrefois sur les milieux habités qui l'entourent, et serait reléguée à une simple concentration d’activités.

Impact sur l’échelle humaine

Généralement aménagées en surface, les aires de stationnement occupent de grandes superficies qui ont pour effet d’allonger les distances entre les bâtiments et de diluer la concentration des activités. Une abondance d’aires peut avoir un effet sur l’échelle de l’aménagement : le milieu perd alors son échelle humaine pour s’organiser à l’échelle de l’automobile. Une telle abondance banalise également l’espace et compromet le caractère distinctif du lieu.

Impact sur l’environnement, la santé publique et l’accessibilité des autres modes

De larges aires de stationnement à traverser | Source : Vivre en Ville

Les cases de stationnement aménagées en surface favorisent des environnements minéraux peu esthétiques et la création d’îlots de chaleur urbains, lesquels ont une incidence directe sur la santé publique (Québec. INSPQ, 2009a).

Les entrées charretières, quant à elles, pénalisent les personnes qui optent pour les modes de déplacement actifs. Trop nombreuses, elles entraînent des dénivellations qui gênent la marche lorsque le trottoir est surélevé, surtout pour les personnes à mobilité réduite, et elles invitent les automobiles sur le trottoir, qui devrait être une zone refuge des piétons. Elles mettent également en danger les cyclistes en multipliant les « zones de conflit » (Québec. INSPQ, 2009b) et créent des problèmes de cohabitation avec les bus, empêchant les voies réservées latérales.

Le difficile équilibre entre accessibilité routière et attractivité dans un contexte de compétition pour l’espace

Pour transformer l’attractivité des activités d’une centralité en affluence, il faut offrir du stationnement. Cette croyance est véhiculée par l’adage des commerçants « no parking, no business ». De la plupart des centralités émane une demande pour davantage de stationnements, qu’elle vienne des citoyens ou, surtout, des commerçants, voire des entreprises.

Pensacola, en Floride, a détruit les bâtiments de son centre-ville, les uns après les autres, afin d’aménager toujours plus d’aires de stationnement et accueillir davantage de consommateurs. Passé un certain seuil, le centre-ville, devenu un gigantesque stationnement, a perdu son attractivité et certaines activités ont commencé à partir d’elles-mêmes. La réponse à apporter à la demande exprimée en stationnement doit donc tenir compte du risque de dévitalisation.

Cette dynamique est également visible au Québec. À Saint-Isidore en Chaudière-Appalaches, par exemple, une dizaine de bâtiments du cœur du village ont été détruits au cours des 30 dernières années pour répondre aux normes minimales réglementaires portant sur les équipements ou aux demandes faites par les propriétaires. Or, les pratiques évoluent. Par exemple, avec la progression des transactions électroniques, les besoins de stationnement de la Caisse populaire n’ont-ils pas diminué ? À Windsor en Estrie, une maison de la rue Principale et un magasin ont été démolis pour agrandir le stationnement d’une résidence pour aînés. Pour endiguer ce phénomène, la Ville de Rimouski (2015), dans le Bas-Saint-Laurent, a quant à elle adopté un règlement qui interdit la démolition d’un immeuble au centre-ville lorsque le programme de réutilisation du sol dégagé prévoit un stationnement.

Changer les paramètres de l’équation pour un nouvel équilibre

Ne pas répondre à la demande en stationnement dans les centralités les pénalise dans leur compétition avec les secteurs périphériques construits pour l’automobile. En contrepartie, augmenter l’offre en stationnement en fonction de la demande compromet les facteurs de son attractivité. L’équation de l’attractivité des centralités et de l’offre en stationnement est impossible à résoudre : il faut donc en changer les variables.

Reconnaître et protéger la spécificité des milieux attracteurs

Mégacentres commerciaux et stationnements | Source : Vivre en Ville

Les centralités sont concurrencées par leur périphérie qui a moins de contraintes d’espace, puisqu’elle a été aménagée à l’échelle de l’automobile. Aujourd’hui, dans l’écrasante majorité des cas, les centres commerciaux, les strips commerciales, les parcs d’affaires ne sont plus complémentaires mais concurrents des centralités. L’abondance de stationnements gratuits qu’ils proposent est devenue la norme, ce qui génère des irritants quant aux conditions de stationnement dans les centralités. Il faut bien comprendre que les centralités ne peuvent pas gagner cette compétition en misant sur le stationnement.

Les interventions gagnent à mettre l’accent avant tout sur les atouts spécifiques aux centralités (les facteurs de leur attractivité), plutôt que sur leur faiblesse (le déficit de cases). Échelle humaine, caractère distinctif, qualité de l’expérience urbaine, animation, architecture et patrimoine culturel sont autant d’éléments qui font défaut aux secteurs concurrents et que les municipalités doivent encourager. D'ailleurs, plusieurs mégacentres commerciaux (power centers) l'ont compris et mutent tranquillement en lifestyle centers (power centers qui reproduisent les caractéristiques les plus attrayantes des rues principales traditionnelles sans sacrifier pour autant le stationnement).

Les municipalités pourront notamment :

  • adopter une réglementation spécifique adaptée à ces milieux anciens de qualité (p. ex. sur la qualité de l’architecture ou les marges de recul);
  • mettre en œuvre des projets de réfection des espaces publics (p. ex. élargissement de trottoirs, places publiques, végétalisation, enfouissement des fils électriques);
  • soutenir les commerçants et les entrepreneurs (p. ex. en finançant les organisations de gens d’affaires, en adoptant des mesures fiscales favorables);
  • soutenir une programmation culturelle et événementielle qui stimule l’animation.

Un aménagement de l’espace public de qualité et une programmation culturelle favorisent l’attractivité de la centralité de Boulder, au Colorado | Source : Vivre en Ville

Favoriser le report modal

Puisque le stationnement à destination est en compétition directe avec les motifs du déplacement (les activités) pour l’espace, et que la place qu’il occupe est incompatible avec la forme compacte qui caractérise les centralités, le mode automobile échoue à desservir efficacement et à lui seul les centralités. Une stratégie intéressante consiste à encourager le transport en commun et les modes de déplacement actifs. Une amélioration combinée de la qualité de l’offre de transport en commun, de la qualité des infrastructures dédiées aux piétons et aux cyclistes, et de l’aménagement du milieu favorise en effet le report modal, lequel atténue la demande en stationnement. Une autre stratégie serait d’augmenter le nombre de consommateurs à proximité (avec la densification de la centralité et des quartiers alentours) ou pouvant utiliser le transport en commun pour s’y rendre rapidement (avec la densification des corridors structurants).

Adopter une gestion intégrée du stationnement

Répondre à la demande de stationnement pourrait se faire sans construire une seule case, en développant des partenariats avec les gestionnaires des aires de stationnement privées pour rendre accessibles au public leurs cases inoccupées. C’est ce qu’a fait Seattle. Comme d’autres, cette approche permet de remettre en question le paradigme du stationnement garanti à la porte de la destination, mais aussi des exigences réglementaire d’un nombre minimal de cases par activité. En effet, le Vieux-Québec, le Vieux-Montréal, le Vieux-Longueuil survivent sans respecter les normes actuellement imposées aux quartiers plus récents. Une gestion intégrée de l’offre de stationnement est un impératif pour répondre mieux à la demande malgré un nombre réduit de cases (p. ex. réglementation des durées de stationnement, tarification, stationnements centralisés).

Réglementation des durées de stationnement sur la rue Victoria, à Saint-Lambert | Source : Vivre en Ville

Alléger la pression de la concurrence aux centralités

Enfin, il serait judicieux d’alléger la pression qui pèse sur les centralités en limitant la concurrence des autres milieux. Un moratoire sur la construction et l’agrandissement des centres commerciaux et des parcs d’affaires, mais aussi sur les investissements dans leur accessibilité (p. ex. élargissement de l’autoroute, nouvelle bretelle d’accès) est une condition pour la santé des centralités les plus exposées. Faute de volonté politique en ce sens, les instances municipales sont condamnées à investir des sommes considérables pour leur sauvetage.

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Notice bibliographique

Publication : 16 mars 2018
VIVRE EN VILLE (2018). « Stationnement dans les centralités », Collectivitesviables.org, Vivre en Ville, mars 2018. [https://collectivitesviables.org/articles/stationnement-dans-les-centralites.aspx] (consulté le 19 avril 2024).


Référence

CONSEIL RÉGIONAL DE L’ENVIRONNEMENT DE MONTRÉAL [CRE Montréal] (2014). Guide – Le stationnement, un outil incontournable de gestion de la mobilité et de l’aménagement durables. [PDF] 86 p.

QUÉBEC. INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE [INSPQ] (2009a). Mesures de lutte aux îlots de chaleur urbains. Gouvernement du Québec. [PDF] Gouvernement du Québec. 95 p.

QUÉBEC. INSTITUT NATIONAL DE SANTÉ PUBLIQUE [INSPQ] (2009b). Les aménagements cyclables : un cadre pour l’analyse intégrée des facteurs de sécurité. Gouvernement du Québec. [PDF] 95 p.

QUÉBEC. SOCIÉTÉ D'HABITATION DU QUÉBEC [SHQ] (2010). « Habitation Québec - Perspectives démographiques 2006-2056 et logement : un aperçu », Le bulletin d'information de la Société d'habitation du Québec, vol. 4, no 4, été. [PDF] 16 p.

VICTORIA TRANSPORT POLICY INSTITUTE [VTPI] (2017). Evaluating Transportation Land Use Impacts : Considering the Impacts, Benefits and Costs of Different Land Use Development Patterns. [PDF] 71 p.

VILLE DE RIMOUSKI (2015). Règlement sur la démolition des bâtiments, règlement 876-2015, adopté le 19 mai 2015. [PDF]


Publication : mars 2018 | Mise à jour : 17 août 2018
Notice bibliographique : VIVRE EN VILLE (2018). « Stationnement dans les centralités », Collectivitesviables.org, Vivre en Ville, août 2018. [http://collectivitesviables.org/stationnement-centralites] (consulté le...).