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Trame de rues organique : effets sur la circulation dans les nouveaux quartiers

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Publication : 24 janvier 2018

De nombreux quartiers qui sortent de terre sont structurés par une trame de rues qui, dans l’objectif de décourager la circulation de transit, prévoit peu d’accès, peu d’intersections et aucune hiérarchie des voies. Or la faible perméabilité et la faible connectivité de la trame de rues ne se révèlent pas nécessairement efficaces pour protéger les futurs résidents des inconvénients de la circulation véhiculaire tout en favorisant leur mobilité.

Une trame de rues organique :

  • impose des détours ;
  • dissuade la marche ;
  • évite que les non-résidents ne transitent par le quartier ;
  • amène les résidents à générer eux-mêmes une circulation de transit dans leur quartier, au détriment de ceux établis aux abords de ses accès.

La conception de la trame de rues des nouveaux quartiers

L’analyse de trois lotissements résidentiels en périphérie de différents types d’agglomérations est riche d'enseignements. Les trois lotissements en questions sont les suivants :

  • Les Jardins du Coteau : un lotissement de Mascouche (ville de taille moyenne de Lanaudière, en banlieue de Montréal) qui compte 700 unités d’habitation et une école;
  • le Domaine de l’Érablière : un lotissement de Drummondville (ville centre de taille moyenne du Centre‑du‑Québec) qui compte 121 unités;
  • la 3e phase du Domaine du Vieux‑Moulin : un lotissement de Saint‑Isidore (village rural de Chaudière‑Appalaches) qui compte 100 unités.

Les caractéristiques de la trame choisie

La trame de rues des trois lotissements se caractérise notamment par :

  • une faible perméabilité : un nombre restreint d’accès au lotissement;
  • une faible connectivité : un choix limité d’itinéraires;
  • une absence de hiérarchie viaire : la généralisation des voies de desserte locale.

Les trois lotissements apparaissent relativement enclavés dans leur périmètre :

  • Celui de Mascouche prévoit deux accès qui débouchent sur une seule et même voie primaire (chemin des Anglais), alors qu’un troisième accès éventuel se termine pour l’instant dans la forêt ;
  • Celui de Saint‑Isidore prévoit deux accès, dont l’un débouche sur une voie primaire (route du Vieux‑Moulin) qui mène au cœur du village ou à l’autoroute, et l’autre sur une voie secondaire (rue des Pinsons) qui mène au cœur du village ;
  • Celui de Drummondville comprendra tout de même, à terme, cinq accès pour 121 ménages. Cependant, aucun ne conduit à des voies dont la configuration et le traitement sont adaptés à la circulation de rabattement, c’est-à-dire qu’ils permettent d’y circuler plus rapidement de façon sécuritaire. Même la rue Paris, que le tracé désigne comme une voie secondaire, ne répond pas aux caractéristiques d’une telle voie.

Une faible connectivité : un choix limité d’itinéraires

La trame de rues de chacun des trois lotissements comprend peu d’intersections (quinze à Mascouche, six à Drummondville et deux à Saint‑Isidore), lesquelles correspondent à des intersections en T dans 75 % à 100 % des cas. On retrouve de longs segments de rue entre deux intersections et une présence abondante d’impasses et de rues en boucle, en particulier dans Les Jardins du Coteau à Mascouche.

Fait à noter : certains tracés ont été délibérément évités dans ces lotissements. À Drummondville, la rue Paris n’a pas été connectée à la rue de l’Entaille, ce qui en aurait fait une voie secondaire utile pour la circulation de rabattement des autres quartiers, notamment celui localisé au sud de la rue du Mûrier. De la même manière, à Saint‑Isidore, la rue des Pinsons n’a pas été prolongée vers l’ouest afin de dissuader la plus grande partie des résidents des lotissements localisés plus à l’est de l’emprunter comme voie d’accès au quartier, voire comme raccourci entre deux voies primaires (route Coulombe et route du Vieux‑Moulin).

Une absence de hiérarchie viaire : la généralisation des voies de desserte locale

L’urbanisation selon le modèle des rangs agricoles, Saint-Lambert-de-Lauzon | Source : Google Maps

Les voies tertiaires ne sont pas conçues pour accueillir des flux importants de véhicules (nombre et largeur des voies, présence de stationnements sur rue, vitesse autorisée, absence de traverses piétonnes et de trottoirs, recul et faible gabarit des bâtiments en bordure de rue, etc.). Une trame de rues hiérarchisée est optimale pour gérer la circulation (CEREMA, 2008). Or la trame des trois lotissements étudiés est inspirée du modèle non hiérarchisé des rangs agricoles, c’est-à-dire un réseau composé quasi exclusivement de voies tertiaires (dont certaines jouent malgré elles le rôle de voies secondaires) connectées directement à une voie primaire, bien que le lotissement de Mascouche dispose d’une véritable voie secondaire. Les impasses et les rues en boucle sont surreprésentées à Mascouche. Les coudes et les segments de rues manquants sont caractéristiques de Drummondville et de Saint‑Isidore.

Les objectifs poursuivis

La trame de rues organique de ces trois lotissements répond avant tout aux intérêts des promoteurs (qu’ils soient publics ou privés) :

  • Pour séduire les acheteurs, l’objectif est de dessiner un cadre de vie tranquille, à l’écart de l’animation et exempt de circulation de transit. En revanche, le lotissement doit offrir un accès automobile rapide vers les secteurs d’emplois et de services.
  • La trame doit diminuer la longueur et la superficie totales des rues pour, d’une part, faciliter le financement de ces dernières (construction, entretien) et, d’autre part, permettre la construction du plus grand nombre possible de lots, tout en respectant les contraintes de la réglementation municipale.

Les effets d’une trame de rues organique

Voici cinq conséquences de la trame de rues choisie qui nuisent à la qualité de vie des résidents et au fonctionnement du milieu en raison, notamment, de la circulation des résidents eux-mêmes :

  • le tracé tortueux des parcours ;
  • les entraves aux déplacements piétonniers ;
  • l’enclavement des lotissements ;
  • le coût des mesures correctives ;
  • une trame inadaptée à quelque extension.

Le tracé tortueux des parcours

Une stratégie qui impose des détours

Plutôt que d’offrir des parcours directs, la trame de rues des trois lotissements analysés impose des détours. On peut les mesurer par le coefficient suivant :

Coefficient de détour (%) = (distance parcourue / distance à vol d'oiseau) - 1

En général, les trames de rues tortueuses génèrent des détours très supérieurs au détour moyen en milieu urbain, qui est de 30 % pour une trame orthogonale, de 38 % dans l’agglomération de Montréal (Québec. MTMET, 2016) et de 15 à 25 % en Europe (Héran, 2009).

Le lotissement de Mascouche et celui de Saint‑Isidore prévoient néanmoins des sentiers piétonniers pour compenser les détours et, notamment, faciliter le trajet des écoliers à pied.

Un choix qui allonge les distances parcourues en automobile

En allongeant les distances parcourues, la trame favorise le recours à l’automobile plutôt qu’aux autres modes de déplacement (marche et vélo, notamment). Cet effet est renforcé, dans les trois lotissements, par l’absence de destinations à proximité, à l’exception notable de l’école prévue dans le lotissement de Mascouche.

Les détours qu’impose la trame font également en sorte que :

  • la traversée du lotissement par les non-résidents, lorsqu’elle est possible (à Drummondville et Saint‑Isidore), n’offre pas un autre parcours (plus rapide et plus court) pour la circulation de transit ;
  • chaque déplacement automobile des résidents gêne un plus grand nombre de ménages du lotissement.

Les entraves aux déplacements piétonniers

Une stratégie dont résulte un faible potentiel piétonnier

Parmi les déterminants du potentiel piétonnier, on trouve la perméabilité et la connectivité de la trame de rues, la présence d'infrastructures piétonnières ou encore l’échelle humaine, la qualité des milieux et l’accessibilité des destinations. Les caractéristiques des trois trames de rues analysées limitent considérablement le potentiel piétonnier du quartier.

Les multiples sentiers et les pistes cyclables qui jalonnent le lotissement de Mascouche permettent uniquement de rejoindre l’école et de se promener, faute de destinations à proximité et faute d’avoir des parcours continus sécuritaires et confortables dans la rue. L’absence de trottoirs et de traverses piétonnes achève en effet de dissuader les résidents vulnérables de marcher.

Le potentiel piétonnier du lotissement de Drummondville est faible et l’absence de destinations à distance de marche y rend improbable la présence de piétons. C’est également le cas du lotissement de Saint‑Isidore, bien que le raccourci piétonnier de la rue des Mésanges (aménagé dans le prolongement de la rue des Pinsons) rende le trajet vers l’école plus facile pour les écoliers.

Un choix qui crée une dépendance à l’automobile

Un potentiel piétonnier faible signifie généralement l’absence ou presque de personnes optant pour les modes de déplacements actifs, y compris parmi la population qui serait à priori prête à le faire. Il place donc le lotissement dans la dépendance à l’automobile.

À l'heure où la sédentarité génère des problèmes de santé publique reconnus (Audet, 2007; OMS, 2010), et où l'on promeut l'adoption d'un mode de vie physiquement actif, en particulier pour les aînés en perte d’autonomie, offrir le support à la mobilité active ne devrait plus être une option mais bien une obligation.

L’enclavement des lotissements

Une contribution à l'étalement urbain

Le caractère imperméable de la trame de rues des trois lotissements analysés dissuade efficacement la traversée du lotissement par les non-résidents. Mais puisque les résidents doivent nécessairement entrer et sortir du lotissement pour se déplacer, le faible nombre d'accès produit un effet de goulot d’étranglement.

Enclavés, ces nouveaux lotissements résidentiels de banlieue de faible densité ne constituent pas de nouveaux quartiers de ville ou de village et contribuent, au contraire, à l'étalement urbain. Plus facilement accessibles par une route que par les quartiers auxquels ils se greffent, ces lotissements ne renforcent ni la cohérence, ni le dynamisme, ni la vitalité des entités urbaines voisines (centre-ville, cœur du village, rue commerciale, etc.).

La circulation générée par les résidents

Une circulation accrue pour certains ménages

Pour permettre à certains résidents de n’avoir pratiquement aucune circulation devant chez eux (p. ex., ceux qui se trouvent le plus loin des accès, qui habitent une impasse ou une rue en boucle), d’autres résidents (en particulier ceux établis aux abords des accès au lotissement) subissent les effets d’une circulation soutenue.

Cet effet est aggravé par :

  • le traitement inadapté de voie tertiaire des rues les plus exposées à la circulation de transit ;
  • les détours qu’impose la trame de rues, qui allongent les parcours et exposent certains résidents à la circulation d’un grand nombre de véhicules.

La trame de rues organique d’un lotissement échoue donc à protéger ses résidents de la circulation qu’ils suscitent eux-mêmes.

Une promesse non tenue envers les acquéreurs

Les ménages qui font l’acquisition d’une propriété sur voie tertiaire investissent dans une rue tranquille. Si la trame fait jouer à cette rue un rôle de voie secondaire malgré elle et y concentre l’ensemble de la circulation du lotissement, ces ménages subissent des nuisances (trafic, vitesse, bruit, pollution, insécurité, etc.) auxquelles ils ne devraient pas être exposés. Ce vice caché de la trame génère l’insatisfaction des citoyens.

Le coût des mesures correctives

Les dysfonctionnements de la trame et les plaintes des riverains appellent des mesures correctives qui représentent un coût parfois élevé pour les municipalités, d’autant qu’il s’agit de quartiers neufs ou très récents :

  • contrôles de police, radar de vitesse ;
  • aménagement de sentiers piétonniers, d’un nouvel accès, réaménagement des voies d’accès ;
  • mesures d'apaisement de la circulation : limitation de vitesse, dos d’âne, présence de brigadiers, etc.

Une trame inadaptée à quelque extension

La trame de rues des lotissements analysés n’est pas adaptée à leur prolongement éventuel. À moins d’offrir un nouvel accès à certains habitants du quartier (comme pourrait le permettre une phase ultérieure du lotissement de Mascouche au nord-ouest, advenant une connexion avec le chemin Pincourt au nord), le prolongement risque de soumettre les ménages habitant à proximité des goulots d’étranglement à une circulation encore plus intense. Ainsi à Drummondville, la construction des lots sur la rue du Mûrier et la rue Luneau condamnerait ces deux rues à une circulation bien supérieure à ce que leur traitement de voies tertiaires permet d’accueillir.

Les principes à retenir

Les préoccupations qui conduisent les municipalités et les promoteurs à opter pour une trame de rue organique dans les nouveaux secteurs à urbaniser peuvent générer des effets indésirables que l’on ne devrait pas sous-estimer. Pour améliorer le fonctionnement de la trame de rue et notamment les conditions de circulation en son sein, les concepteurs pourront retenir les principes suivants :

  • hiérarchiser la trame de rues et distinguer le traitement réservé à chaque type de voie pour la chaussée, la vitesse, les voies cyclables, les intersections et les traverses piétonnes, la marge avant et le gabarit des bâtiments ;
  • prévoir des parcours directs vers la centralité, pour encourager les futurs résidents à contribuer à l’économie et à l’animation locales, et vers l’école, pour que les familles puissent choisir de laisser marcher leurs enfants ;
  • prévoir de nombreux accès, dans le prolongement des rues existantes, pour intégrer pleinement le lotissement au milieu bâti existant et pour éviter les goulots d’étranglement ;
  • multiplier les intersections pour raccourcir les parcours ;
  • planifier le quartier en prévision des extensions potentielles, y compris dans la hiérarchie de rues, pour que la trame de rues soit optimale dès la construction du quartier et quel que soit le développement à venir.

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Notice bibliographique

Publication : 24 janvier 2018
VIVRE EN VILLE (2018). « Trame de rues organique : effets sur la circulation dans les nouveaux quartiers », Collectivitesviables.org, Vivre en Ville, janvier 2018. [https://collectivitesviables.org/etudes-de-cas/trame-de-rues-organique-effets-sur-la-circulation-dans-les-nouveaux-quartiers.aspx] (consulté le 19 mars 2024).


Références

AUDET, Nathalie (2007). « L’évolution de l’excès de poids chez les adultes québécois de 1990 à 2004 : mesures directes », Zoom santé, Institut de la statistique du Québec [PDF] p. 1‑5.

CEREMA [CENTRE D'ÉTUDES ET D'EXPERTISE SUR LES RISQUES, L'ENVIRONNEMENT, LA MOBILITÉ ET L'AMÉNAGEMENT] (2008). « Sécurité et hiérarchie des voies urbaines », Fiches CEREMA (ex-CERTU) – Savoirs de base en sécurité routière, fiche n° 11, 3 p. [+ info]

CHOAY, Françoise, et Pierre MERLIN (2009). Dictionnaire de l’urbanisme et de l’aménagement, France, PUF, 2e éd., 963 p.

HERAN, Frédéric (2009). « Des distances à vol d’oiseau aux distances réelles ou de l’origine des détours », Flux, n° 76/77 [PDF] p. 110‑121.

OMS [ORGANISATION MONDIALE DE LA SANTÉ] (2010). Recommandations mondiales sur l’activité physique pour la santé [PDF] 60 p.

QUÉBEC. MTMDET [MINISTÈRE DES TRANSPORTS, DE LA MOBILITÉ DURABLE ET DE L'ÉLECTRIFICATION DES TRANSPORTS] (2016). Enquête Origine‑Destination de Montréal, 2008, traitement par le modèle de simulation de la trame de rues. [+ info]

Références pour les trois études de cas :