La ville à échelle humaine
Une expression à la fois imprécise et inspirante
Le succès de l’expression « à échelle humaine » tient tant aux qualités qu’elle évoque qu’à la place qu’elle laisse à l’interprétation, ce qui entraîne cependant parfois une utilisation inadéquate.
Une ville à dimension humaine
L'échelle humaine est la plus petite des échelles de l'aménagement, celle où les éléments qui forment notre environnement (bâtiments, espaces publics, etc.) s'appréhendent à hauteur d'homme et à la vitesse du pas (Gehl, 2010). Elle indique alors l’adéquation du milieu avec la taille d’un être humain, dans l’idée que l’humain devrait s’y sentir à l’aise plutôt que de se sentir écrasé par les bâtiments et les infrastructures (Pays-Bas. MHSPE, 2001) ou encore dérouté (Bukowski, 2010).
Cette expression présente cependant une grande part de subjectivité. Une personne pourra considérer qu’un bâtiment à échelle humaine comprend un à deux étages, une autre placera la limite à sept étages, et personne n’interprétera de la même façon la taille d’une agglomération à échelle humaine. Il est donc essentiel de baser l’appréciation de l’échelle humaine sur des indicateurs objectifs.
Aménager l’environnement en fonction de la faculté de l’individu de le percevoir, à sa hauteur et par ses cinq sens permet de dépasser cet écueil (p. ex., niveau sonore, ensoleillement). Gehl (2010) propose ainsi quelques ordres de grandeur pour concevoir un milieu ou évaluer la relation entre les sens et un environnement bâti :
- c’est à moins de 25 mètres de distance qu’on perçoit suffisamment notre environnement pour s’émouvoir d’une scène et à moins de 100 mètres qu’on identifie les mouvements de quelqu’un;
- dans une rue, on est sensible aux détails architecturaux du rez-de-chaussée; depuis la fenêtre, on peut surveiller des enfants qui jouent dans la ruelle jusqu’au troisième niveau;
- un adulte marche à environ 5 km/h et est stimulé si le décor change toutes les 5 secondes. Une rue commerciale avec des façades de moins de 7 mètres de large encourage donc la marche.
Une ville porteuse de sens
Plus qu'une simple question de mesures, l’échelle humaine permet la perception d’un espace et de son sens, ainsi que la reconnaissance des usages potentiels de chaque lieu. Un bâtiment peut donc être à échelle humaine, malgré sa très grande dimension, si l’espace est suffisamment lisible pour que l’individu puisse l’interpréter et ainsi se l’approprier (Charles Moore et Gerald Allen, cités dans Bukowski, 2010).
Une ville qui donne la priorité aux personnes
Par extension, l’expression « à échelle humaine » est employée au sens de « basé sur l’humain ». Un aménagement à échelle humaine met ainsi l’accent sur les besoins des personnes en matière de sécurité, de confort, de mobilité, d’appartenance, etc. Cela implique de ne pas planifier un milieu pour la beauté du plan ni pour qu’il soit beau vu du ciel, mais à hauteur d’homme et, surtout, de reléguer au second plan les enjeux propres à l’automobile (Gehl, 2010).
Gehl retient quatre principes pour guider l’aménagement d’une ville à échelle humaine : être animée, sécuritaire, durable et favorable à la santé de ses résidents. Par exemple, la possibilité pour les enfants de circuler seuls et de façon sécuritaire est un bon critère de milieu à échelle humaine.
Une notion à contre-courant
Pour aménager la ville à échelle humaine, il est essentiel de changer les manières de faire.
La planification en fonction de l’automobile
Après la Seconde Guerre mondiale, la périphérie des villes s’est urbanisée le long du réseau routier supérieur en développement. L’automobile, qui s’est généralisée, l’a rendue accessible : le rapport à l’espace a changé (Merlin et Choay, 2009). Des lotissements et des zones d’activités de faible densité y ont été aménagés en fonction de l’automobile et les distances à parcourir ont augmenté.
Aujourd’hui, la ville est étalée et fragmentée par les réseaux de transport (Mongin, 2005) : la mobilité automobile a progressé, mais au détriment de la marche et de la bicyclette. Dans la région métropolitaine de Montréal, 55 % des trajets de moins de 1,6 kilomètre, qui représentent environ 15 minutes de marche, sont motorisés (Torres et Lewis, 2010), ce qui peut signifier que les milieux sont peu favorables aux piétons, soit parce qu'ils sont inhospitaliers, soit parce que leurs parcours sont inadéquats ou dangereux.
La tendance au « toujours plus grand »
La tendance est au « toujours plus grand », pour les rues et les stationnements comme pour les maisons et les autres bâtiments. La taille moyenne des logements a augmenté de 17 % entre 1990 et 2012 (HEC Montréal, 2015) et la surface de plancher des locaux du secteur commercial et institutionnel, de 41 % entre 1990 et 2010 (Canada. Ressources Naturelles Canada, 2014). Les grandes façades monolithiques ainsi créées et les grandes distances entre les bâtiments forment des milieux hostiles à la marche et finalement peu animés (Gehl, 2010).
L’échelle humaine est donc oubliée dans de nombreux milieux urbains :
- soit en raison du volume imposant des bâtiments et des infrastructures, qui donne un sentiment d’oppression;
- soit en raison de la superficie de terrains non bâtis, comme les aires de stationnement, qui donne l'impression d'être perdu au milieu de nulle part et provoquent un sentiment de vulnérabilité.
Les caractéristiques et les bénéfices de la ville à échelle humaine
Non seulement la ville à échelle humaine répond aux besoins de ses habitants et de ses visiteurs, mais elle crée les conditions de leur bien-être, tant individuellement que collectivement.
La capacité à générer du bien-être
En répondant en priorité aux besoins des personnes, la ville à échelle humaine crée des milieux de vie de qualité, confortables, attrayants et stimulants (Vivre en Ville, 2017). Elle offre une expérience positive aux personnes en sollicitant tous leurs sens. Le plaisir d’être là qui en résulte fait du flânage un loisir à part entière.
La capacité à favoriser le vivre ensemble
Mongin (2005) insiste quant à lui sur la capacité de la ville à échelle humaine à « créer » des lieux qui favorisent les rencontres et le lien social, en particulier à travers les espaces publics. Ces derniers ne devraient pas être limités à leur rôle de transit, mais susciter les échanges, la vie de quartier, le sentiment d’appartenance. Ultimement, cela favorise la construction collective d’un projet local : la ville à échelle humaine a un rôle démocratique.
Comment humaniser la ville?
L’intervention pour retrouver l’échelle humaine consiste à considérer chaque espace comme un lieu destiné à être approprié et à modeler une ville agréable à vivre.
Renouer avec l’échelle locale
La planification à l’échelle du quartier ou de la région et la planification de secteurs façonnés par des enjeux régionaux pourront s’appréhender en lien étroit avec l’échelle locale, de manière à prendre en compte la qualité de chaque lieu et à anticiper leur appropriation (Mongin, 2005). En effet, certains secteurs très étendus et clairsemés (p. ex., des zones industrielles, des centres commerciaux), ou au contraire aux bâtiments très denses (p. ex., le centre-ville des métropoles) et les secteurs traversés par des voies du réseau routier supérieur jouent de facto un rôle à l’échelle locale qu’il s’agit d’assumer pleinement.
La planification pourra s’articuler à une planification détaillée de chaque secteur, en utilisant par exemple des programmes particuliers d’urbanisme, ou encore mettre l’accent sur les formes urbaines.
La ville comme un écosystème sur mesure
Aménager la ville à échelle humaine revient avant tout à donner la priorité aux piétons et aux cyclistes dans l’aménagement des espaces publics et privés, au détriment de l’automobile (Gehl, 2010). La « fluidité du trafic routier » et les bonnes « conditions de circulation » ne devraient jamais être obtenues au détriment de la sécurité des usagers les plus vulnérables dans l’espace public, même sur les grands axes (OAQ, 2016).
La mobilité active est favorisée par une organisation spatiale efficace. Combiner un certain niveau de densité résidentielle, la localisation des services de proximité au cur des quartiers et la sécurité des parcours permet de minimiser les distances à parcourir, tout en augmentant le nombre de personnes dans l’espace public, donc l’animation, et en encourageant les saines habitudes de vie.
Revenir à l’échelle humaine signifie bien souvent de voir plus petit. La densité doit être conditionnelle à une amélioration de la qualité de vie. L’Ordre des architectes (2016) parle de la nécessité d’une « densité conviviale », même dans un hypercentre. En ce qui concerne la largeur des rues, plutôt que de prévoir plus large comme mesure de précaution, Gehl (2010) recommande quant à lui de prévoir plus étroit. Ce principe pourrait être appliqué à la délimitation de nouvelles zones à urbaniser, au parcellaire, aux exigences de stationnement, etc.
L’humain à toutes les échelles
Les qualités d'une ville pensée pour l'être humain peuvent être perçues autant à l'échelle de la rue qu’à l’échelle du quartier et de l’agglomération.
Une rue et des bâtiments à échelle humaine
Une rue à échelle humaine donne la priorité aux piétons. Cela se traduit dans l’aménagement :
De l’espace public, dans l’objectif que les habitants se l’approprient, grâce:
- à des trottoirs confortables,
- à des traverses sécuritaires),
- à des mesures d'apaisement de la circulation ou encore pour tempérer les aléas climatiques (p. ex. avec la présence d’arbres pour l’ombre ou la gestion de la hauteur des bâtiments pour le vent),
- à des espaces de rencontre et de repos.
De l'espace privé, par:
- une faible marge de recul;
- une gestion du stationnement visant à le rendre invisible;
- une hauteur des bâtiments acceptable pour le milieu;
- une architecture diversifiée et de qualité, qui limite l’impact du vent ou encore les îlots de chaleur;
- des marges latérales étroites;
- des vitrines et des détails architecturaux aux premiers niveaux des rues commerciales;
- une diversité architecturale et paysagère en façade, dans les rues résidentielles.
Un quartier à échelle humaine
Un quartier aménagé à l’échelle humaine favorise une forme d’appropriation du lieu et le développement d’un sentiment d’appartenance. C’est un milieu de vie confortable et propice : - aux déplacements à pied, à la fois grâce à des infrastructures qui rendent les déplacements sûrs et confortables, à la trame urbaine, avec de petits îlots qui favorisent les parcours directs (Jacobs, 1961), et à la localisation des activités de proximité en son cur, pour offrir de courtes distances à parcourir (Vivre en Ville, 2013) et concentrer l’animation sur un nombre restreint de rues (Gehl, 2010); - aux interactions humaines quotidiennes; la vitalité du cur de quartier et l’existence de lieux de rassemblement contribuent aux rencontres et à la vie de quartier. C’est ce à quoi aspire la Ville de New York en aménageant des places pour redonner de l’espace aux personnes dans le cadre de son programme Plaza.
Une agglomération à échelle humaine
Pour une agglomération, l’échelle humaine ne dépend pas du nombre d’habitants, mais du fait qu’elle fasse de la majeure partie des secteurs bâtis des milieux de vie complets et minimise les zones inhospitalières. Elle s’affranchit de l’étalement urbain, avec une forme compacte, peu de coupures dans la trame de rues (ruptures et discontinuités) et une organisation spatiale qui limite la longueur des déplacements automobiles.
Remettre les capacités sensorielles et, plus généralement, les personnes au centre des préoccupations de l’urbanisme a pour effet d’insuffler la vie dans les espaces publics, de développer les traits culturels distinctifs des milieux et de donner davantage de sens aux villes.