Le potentiel inexploité des intersections
Lieu de rencontre des voies de circulation, mais aussi des véhicules avec les piétons et les cyclistes, l’intersection est considérée comme un éventuel lieu de conflit, tandis que le potentiel qu’elle porte est largement ignoré.
L’intersection, un espace public
L’Intersection est le théâtre d’enjeux de circulation :
risques d’accidents,
possibilité de congestion,
défis de cohabitation : c’est notamment le lieu privilégié pour les traverses piétonnières.
L’intersection est néanmoins un espace public, dont les multiples rôles ne se limitent pas aux déplacements. En Europe par exemple, un grand nombre d’intersections ont été conçues avant tout comme des places publiques et favorisent le rassemblement.
Le caractère stratégique des intersections
En maximisant le nombre de personnes susceptibles d’accéder à leurs abords, les intersections deviennent des localisations intéressantes pour les commerces, avec une bonne visibilité. La Ville de Portland a ainsi planifié la trame de rues de son quartier Southeast de manière à prévoir le plus grand nombre possible de carrefours pour favoriser le dynamisme commercial. Les intersections offrent un potentiel pour le développement de centralités rayonnant à l'échelle de l'agglomération (au croisement de voies primaires) ou à celle du quartier et du voisinage (au croisement de voies secondaires et tertiaires). Même dans les secteurs résidentiels, l’intersection sert de point de repère pour s’orienter et peut jouer un rôle pour cristalliser le sentiment d’appartenance.
Les principes des intersections conviviales
Plusieurs municipalités tentent de réaménager leurs intersections pour les rendre plus faciles et agréables à utiliser, mais aussi pour favoriser la cohabitation des usages et améliorer la qualité du milieu de vie. Elles s’appuient sur les notions de nouvel urbanisme, de rues complètes, de rues conviviales, de vision zéro ou d’apaisement de la circulation.
Les conditions préalables à la convivialité : sécurité, fluidité, accessibilité
Le caractère fonctionnel d’une intersection, sur le plan de la mobilité, est un prérequis pour sa convivialité.
Sécurité
La sécurité, besoin fondamental de l’être humain, est une condition de la convivialité. Or, un carrefour comprend de multiples points de conflit, soit des emplacements où la trajectoire de « deux véhicules, ou d’un véhicule et d’un cycliste ou un piéton, se croisent ou s’entrecoupent » (Québec. MTMDET, 2007), constituant des lieux potentiels d’accident.
Rien que pour la circulation automobile, une intersection à quatre branches à double sens non régulée par des lumières représente 24 points de conflits. Ce nombre augmente considérablement si on prend en compte les piétons et les cyclistes. Sur l’île de Montréal, près des deux tiers des collisions entraînant l’hospitalisation d’un piéton ont lieu aux intersections (Morency et Cloutier, 2005). Dans les zones urbaines, la plupart des accidents mortels ou graves dans lesquels sont impliqués des cyclistes se produisent à des intersections (Wittink, 2001).
Fluidité
La pression de la circulation et des temps d’attente trop longs induisent des comportements de prise de risque comme le franchissement sur la lumière rouge, tant chez les automobilistes que chez les piétons et les cyclistes. Pour ces derniers, le temps d’attente acceptable se situe autour de 30 secondes (CEREMA, 2014). La fluidité des différents usagers en déplacement, quel que soit le mode de déplacement, est donc une condition à l’apaisement de la circulation.
Accessibilité
L’accessibilité aux intersections est déterminante pour la convivialité, en particulier pour les piétons (Piétons Québec, 2017) et les cyclistes (Québec. INSPQ, 2017), et quelles que soient les potentielles contraintes de mobilité (Québec. OPHQ, 2017).
La réduction de la place de l’automobile
Les conséquences de la circulation automobile, en particulier les enjeux de cohabitation, sont exacerbées au niveau des intersections. Améliorer la convivialité de ces dernières implique de remettre en question la place dévolue à l’automobile, mais aussi les vitesses de circulation autorisées et pratiquées, en vue de les réduire autant que le contexte le permet.
Parmi les mesures d’apaisement de la circulation, les interventions d’aménagement sont les plus efficaces (Vivre en Ville, s. d.). On peut, par exemple :
supprimer des cases de stationnement,
réduire de la largeur des voies (cure minceur),
détourner la circulation,
supprimer des voies,
voire fermer l’accès à une rue.
La signalisation et la réglementation offrent des solutions complémentaires, telles que la redistribution des priorités de passage ou des temps d’attente, ou la réduction de la vitesse autorisée.
La priorité aux personnes
Replacer les personnes au cœur de l’espace permet efficacement d’améliorer la convivialité des intersections et la cohabitation des différents modes de déplacement. Le plus souvent, cela signifie de donner la priorité aux piétons. L’aménagement renoue dès lors avec l’échelle humaine, en limitant l’exposition des plus vulnérables à la circulation et leurs délais d’attente (Ville d’Ottawa, 2015), en sécurisant les traverses piétonnières et en les rendant accessibles aux personnes à mobilité réduite ou en situation de handicap, aux aînés, aux enfants, etc. (Bruneau et Morency, 2016). La priorité est ainsi transférée de la question de la fluidité de la circulation motorisée à celle du bien-être et de la sécurité des personnes, quel que soit leur usage de l’intersection ou leur mode de déplacement. Une place spécifique pourra être dédiée aux cyclistes, particulièrement vulnérables aux intersections.
L’intersection conviviale assume l'entièreté de son statut d’espace public en prévoyant d’autres usages que le déplacement. Elle favorise le confort et l’appropriation citoyenne, soit en dédiant des espaces à la détente (p. ex. avec des bancs) ou encore au verdissement, soit en leur faisant remplir simultanément plusieurs fonctions.
Les stratégies d’aménagement
Aménager des intersections conviviales implique de redistribuer l’espace au profit des différents usages, selon un design et une gestion de la circulation qui favorisent la cohabitation. Plusieurs stratégies existent (Berthod, 2010; Bellefleur et Gagnon, 2011; Bruneau et Morency, 2016; CEUM, 2014; Vivre en Ville, s. d.), et leur combinaison augmente les bénéfices.
Apaiser la circulation
Réduire l’espace dédié à la circulation motorisée
Réduire l’emprise de la chaussée, y compris dans les virages, est une mesure efficace pour faire diminuer la vitesse de la circulation (Bowman, 2013), permettant de limiter les risques de collision (OMS, 2004). Le surdimensionnement général des voies permet pratiquement partout de procéder à une cure minceur, voire de retirer des voies. La chute de neige constitue une occasion parfaite pour mesurer l’excès d’espace dédié à l’automobile, par le biais des sneckdowns, soit l’étendue révélée par l’enneigement qui permet de distinguer la surface réellement occupée par la circulation motorisée lorsqu’elle est apaisée.
L’accessibilité pour les véhicules d’urgence, les camions et les véhicules de grande dimension doit être pleinement prise en compte. Prévoir un rayon de braquage adapté à ces véhicules peut miner la convivialité de l’intersection. Or, plusieurs solutions sont possibles : reculer la ligne d’arrêt, paver le coude de l’intersection pour permettre le virage des camions tout en dédiant cet espace aux piétons le reste du temps, dévier la circulation des camions sur des voies primaires, etc.
Gérer autrement la circulation
Les stratégies complémentaires à la réduction de la largeur des voies consistent à prévoir des obstacles (chicanes, dos d’âne), à adapter la signalisation (p. ex. arrêt obligatoire, ou au contraire, absence de signalisation misant sur le design et la vigilance, selon le principe de la route « nue » [naked street]), ou encore à détourner la circulation. Cette dernière stratégie regroupe notamment les aménagements suivants:
l’utilisation du sens unique ou l’interdiction de virage à gauche, qui limitent les points de conflit, mais peuvent avoir un effet contreproductif en matière de vitesse de circulation;
la fermeture d’une branche à la circulation motorisée;
le giratoire (avec terre-plein central) et le minigiratoire (sans terre-plein central), qui ont un effet bénéfique sur la vitesse et le nombre de points de conflit;
le terre-plein diagonal, qui détourne la circulation vers les rues avoisinantes pour limiter la vitesse et la circulation de transit.
Réaffecter l’espace gagné à d’autres usages
L’espace gagné par les mesures d’apaisement peut profiter :
aux déplacements actifs (trottoirs élargis, pistes cyclables);
à la sécurité des usagers vulnérables (avancées de trottoir, îlots refuges, sas vélo;
à la qualité des espaces de rencontre (places ou placettes publiques, mobilier urbain, verdissement, art public);
aux activités commerciales (terrasses commerciales).
Partager l’espace du croisement
Améliorer le partage de l’espace se traduit au minimum par l’amélioration des traverses piétonnières. Il est notamment question d’y assurer :
l’accessibilité universelle (élimination des dénivelés, texture),
la sécurité (réduction de la distance à traverser et des points de conflit ),
la visibilité (peinture, éclairage adéquat, signaux lumineux, pavage distinctif).
Une solution particulièrement efficace consiste à surélever le centre de l’intersection pour le mettre au niveau des trottoirs (Gagnon, 2017). Non seulement l’intersection devient plus visible, mais le rehaussement a le même effet qu’un dos d’âne en matière de vitesse. Un pavage est similaire à celui des trottoirs indique aux automobiles qu’ils entrent sur un espace piéton plutôt que l’inverse et les incite à davantage de vigilance à l’égard des usagers vulnérables, renforçant pour ces derniers le sentiment de sécurité.
Cette stratégie et ses variantes (p. ex. le trottoir traversant, le design de l’intersection incluant les espaces publics voire privés alentours) ont l’avantage de définir l’intersection comme un lieu de rencontre.
Faciliter l’appropriation citoyenne
Le succès d’une initiative pour rendre une intersection conviviale passe par l’implication citoyenne, gage important d’appropriation de l’espace par les riverains (CEUM, 2015). À Vancouver, l’organisation The City Repair Project a par exemple soutenu des initiatives communautaires de peinture artistique d’intersections au cœur des quartiers. À New-York, la Ville a mis en place le programme Plaza pour financer des organisations qui font le design de places publiques sur les intersections surdimensionnées en concertation avec les communautés. La marque de commerce de l’organisation internationale Project for public spaces, le Placemaking, mise sur un processus de collaboration afin de reconnecter les gens aux espaces publics, que ce soit dans les rues ou ailleurs. Et ce ne sont là que quelques exemples.