Pourquoi des rues piétonnes?
Dans le courant des années 1960 et 1970, avec l’omniprésence croissante de l’automobile, de nombreuses villes européennes ont pris conscience des nuisances associées à la circulation motorisée dans les centres urbains. Des centres historiques et certaines rues commerçantes se révélaient particulièrement sensibles et mal adaptés à la circulation automobile, que ce soit en raison de leur valeur patrimoniale ou à cause des nombreux conflits générés avec les piétons. Ce constat s'est notamment imposé à Copenhague où, dès 1962, il a été décidé que la principale artère commerciale du centre-ville, la désormais célèbre Strøget, deviendrait exclusivement piétonne.
Depuis, en Europe comme en Amérique, les exemples de rues piétonnes et de zones piétonnes se multiplient. On peut penser, par exemple, à la piétonnisation de Broadway autour de Times Square et de Herald Square, à New York, au tournant des années 2010. Le terme zone piétonne (ou aire piétonne) réfère à une section ou un ensemble de sections de voies publiques affectées à la circulation piétonne. Il peut s’agir par exemple d’un centre historique ou d’un cur de quartier, où plusieurs sections de rues sont à l’usage exclusif des piétons (CERTU, 2008).
Bienfaits des rues piétonnes
L’aménagement de rues piétonnes sert de nombreux objectifs touchant au bien-être des usagers de la rue et à la vie urbaine : sécurité accrue des piétons, diminution des nuisances liées à l’automobile, dynamisme et attrait du milieu.
La piétonnisation d’une voie publique s’avère particulièrement pertinente dans des contextes où les activités de la rue génèrent un nombre important de piétons et où les risques de conflits avec les véhicules motorisés sont exacerbés. Les zones commerciales ou touristiques en sont de bons exemples.
Sécurité accrue
En retirant l’accès aux véhicules motorisés, la piétonnisation d’une rue vient diminuer les conflits entre les différents usagers : elle est ainsi associée à une diminution du nombre d’accidents et à une diminution du nombre de décès sur cette rue, ainsi que sur les rues avoisinantes (Elvik, 2009 ; University of Northampton, 2014). L’effet de la piétonnisation est d’autant plus prononcé lorsque la rue connaît à l’origine un problème de sécurité routière (Elvik, 2009). Si la sécurité réelle des piétons se retrouve accrue grâce à l’absence de circulation automobile, le sentiment de sécurité (ou sécurité perçue) est également rehaussé.
Diminution des nuisances liées à l’automobile
En plus de l’insécurité routière, la circulation automobile est à l’origine de plusieurs nuisances pouvant être atténuées par l’aménagement de rues piétonnes. Parmi les principales, on compte la pollution de l’air et le bruit, associées à des enjeux majeurs de santé publique tels que les maladies cardio-respiratoires et le stress. Le retrait de la circulation motorisée dans un secteur entraîne une diminution des émissions de polluants atmosphériques, dont le CO2, et des niveaux sonores (Elvik, 2009 ; University of Northampton, 2014).
L’espace accaparé par les véhicules motorisés (voies de circulation ou stationnements) constitue par ailleurs une nuisance majeure souvent sous-estimée. Retirer la circulation automobile et le stationnement sur une rue apporte un gain d’espace considérable pour les piétons ; il devient plus confortable de marcher, quel que soit le rythme ou la condition du marcheur. Les familles avec poussettes, les personnes à mobilité réduite ou ayant besoin d’une aide à la mobilité (marchette, fauteuil roulant, triporteur, etc.) disposent alors d’espace et de confort supplémentaires.
Mobilité durable et réduction de la congestion
La piétonnisation d’une rue peut constituer un geste fort d’une démarche globale de mobilité durable à l’échelle d’une ville ou d’une agglomération. L'interdiction de la circulation motorisée dans une rue place les automobilistes devant un choix : modifier leur parcours ou choisir un mode de déplacement moins contraignant et plus efficace. Plusieurs démarches de piétonnisation s’inscrivent dans des plans globaux de mobilité qui, en renforçant les solutions de rechange à l’auto-solo, peuvent provoquer un report modal vers les transports collectifs et les déplacements actifs. On observe dans plusieurs de ces cas une diminution globale de la circulation motorisée (CERTU, 2011).
Animation du milieu et dynamisme commercial
La rue, lorsqu’elle est piétonne, offre un environnement propice non seulement aux déplacements actifs, mais également à la déambulation, à la restauration, au magasinage, au repos, au divertissement ou au jeu. Grâce au confort accru, à la qualité visuelle des aménagements et à l’occupation de l’espace par des activités susceptibles d’animer la rue (terrasses, amuseurs publics, kiosques, évènements, etc.), la rue piétonnisée devient un lieu de socialisation animé à l’ambiance toute particulière, menant généralement à une augmentation de l’achalandage.
Cette atmosphère distinctive et recherchée peut permettre aux rues piétonnes commerçantes de compétitionner avec les centres commerciaux périphériques axés sur l’accès automobile (Boillat et Widmer, 2001), centre commerciaux dont la configuration, faut-il le mentionner, reproduit souvent des rues piétonnes !
Piétonnisation de rues commerçantes
Dans le cas de rues commerçantes, le retrait de la circulation automobile peut avoir d’importantes répercussions sur les commerces, selon le contexte et la nature des activités ayant pignon sur rue. La piétonnisation est susceptible d’engendrer des changements considérables dans la structure commerciale (commerces courants, de restauration, et grandes chaînes favorisés au détriment des commerces de destination indépendants), mais les impacts économiques globaux semblent être généralement positifs (CERTU, 2011 ; Monheim, 2002).
Cependant, comme en témoignent certains pedestrian malls américains, qui ont réintroduit les automobiles après leur avoir interdit l’accès pendant une certaine période, la piétonnisation s’avère pertinente et garante de succès dans certains contextes seulement (Center City Commission, 2008).
Prérequis
Une artère commerciale que l’on souhaiterait piétonniser doit déjà être animée et achalandée ; on ne peut miser sur la piétonnisation pour contrecarrer une morosité économique et une situation de dévitalisation. Une rue présentant une mixité d’activités et une offre commerciale diversifiée, en son sein ou à proximité, est davantage susceptible de bénéficier de retombées économiques positives de la piétonnisation (VTPI, 2014 ; Pawlas, 2011). La nouvelle rue piétonne devrait par ailleurs pouvoir constituer à la fois une destination en soi et un lieu de passage reliant différentes attractions.
Quant au cadre bâti, il doit être, au départ, propice aux déplacements piétonniers notamment par une trame de rues très perméable – afin de ne pas créer une enclave –, un encadrement visuel de la rue et une échelle humaine (VTPI, 2014).
Comment fait-on ?
La mise en uvre d’une piétonnisation serait davantage garante de succès en reposant sur les éléments suivants :
Mise en place d’une politique de transport intégrée
Pour qu'une rue piétonne soit accessible, les planificateurs devraient prévoir d'avance son maillage avec les autres secteurs par les différents modes de déplacement. La rue doit pouvoir compter sur une excellente desserte de transport collectif ainsi que des espaces de stationnement et des supports à vélos à proximité (VTPI, 2014 ; Pawlas, 2011; Rodriguez, 2011). Dans certains cas, des navettes locales pallieront l'absence du réseau de transport en commun.
Retrait graduel de la circulation automobile
Une piétonnisation temporaire, saisonnière ou évènementielle et la mise en place d’un projet pilote peuvent donner un aperçu des effets d’une piétonnisation permanente et rallier davantage la population riveraine, ainsi que les commerçants, au projet.
Confort des piétons et animation urbaine
La personne qui aménage une rue piétonne doit particulièrement prêter attention au confort des marcheurs et au potentiel d’animation de la rue. Une grande importance sera ainsi accordée aux éléments de design et au mobilier urbain : placettes, placottoirs, terrasses, bancs publics, banquettes, plantations d’arbres assurant un ombrage adéquat, éclairage, fontaines, uvres d’art, etc. Puisque la ségrégation entre les véhicules et les piétons n’est plus nécessaire, il est possible d’aménager la rue sans trottoirs, avec une surface pavée plutôt qu’asphaltée.
Accès accordé aux véhicules d'urgence et de livraison
La fermeture d'une rue à la circulation motorisée peut être indiquée par une signalisation ainsi que par des obstacles physiques temporaires plutôt que permanents. Des bornes rétractables peuvent également servir à la gestion des véhicules autorisés à circuler sur la rue : véhicules d'urgence et véhicules de livraison, par exemple.
Gestion du projet par un organisme dédié
La gestion de la piétonnisation gagne à être assurée par une structure ou un organisme dédié, notamment afin de soutenir la transition commerciale à prévoir et d’assurer la gestion des locaux (Center City Commission, 2008).
Entretien impeccable de la rue
Afin d’assurer le sentiment de sécurité des piétons et de maximiser l’attrait de la rue, son aspect visuel et son entretien doivent être considérés avec la plus grande attention.
Et les autres usagers de la route ?
Dans la rue piétonne, on peut autoriser et intégrer, ou non, la circulation des cyclistes et des véhicules de transport collectif. Un tel choix se fait principalement en fonction des risques de conflits et des nuisances générés par ces modes. L’achalandage et la largeur de la voie peuvent aider à déterminer le risque de conflit. Selon l’organisation néerlandaise CROW, piétons et cyclistes pourraient cohabiter de façon harmonieuse lorsque, pour chaque mètre de largeur de la voie, le nombre de piétons est inférieur à 200 par heure (CROW, 2007).
Quant aux modes de transport collectifs, il est fréquent de voir circuler un tramway sur une rue piétonne, puisque, à basse vitesse, sa cohabitation avec les piétons est jugée sécuritaire et peu conflictuelle. En l’absence de tramway ou de métro, des navettes motorisées, toujours à basse vitesse, peuvent y faciliter les déplacements.