Une population qui vieillit
Au Québec, le vieillissement de la population est une tendance de fond qui a des conséquences sur la société, qui soulève divers questionnements et qui crée de nombreux défis d’aménagement.
En vieillissant, les personnes âgées sont plus susceptibles de faire face à des difficultés liées à la détérioration de leur état de santé, la fatigue, l’isolement, la vulnérabilité économique, etc., dont les répercussions peuvent être multiples, notamment en matière d’alimentation. À ce chapitre, nous pouvons identifier un problème majeur en ce qui concerne l’approvisionnement alimentaire chez les personnes aînées : la faible accessibilité physique et économique des aliments sains.
Le manque d’accès à des aliments sains
L’accès aux services et aux commerces alimentaires dans les collectivités représente un enjeu important pour les personnes aînées, d’autant plus qu’elles sont généralement moins mobiles et plus vulnérables d’un point de vue socioéconomique.
À l’échelle du Québec, c’est plus de 57 % des aînés qui déclarent avoir une incapacité ayant un impact sur la quantité et le genre d’activités qu’ils peuvent mener, et près d’une personne âgée sur dix (9,9 %) qui a des revenus inférieurs à la mesure de faible revenu (Québec. ISQ, 2013; 2018). Cela se répercute évidemment sur leur capacité de se déplacer vers les commerces alimentaires ainsi que la variété et la qualité des aliments qui sont consommés.
D’autre part, les personnes aînées sont parfois confrontées à des défis environnementaux sur lesquels ils ont peu ou pas de prises, par exemple le fait d’habiter en milieu rural sans voiture, dans une banlieue où les commerces alimentaires sont éloignés ou encore dans un secteur qui est considéré comme un désert ou un marais alimentaire. L’environnement urbain et la façon dont les milieux de vie sont aménagés peuvent donc jouer un rôle sur l’approvisionnement alimentaire et la capacité des aînés à se nourrir adéquatement.
L’accès aux commerces alimentaires est considérée comme limitée pour près de la moitié (45,5 %) de la population québécoise, alors que 5,7 % de la population vivrait dans un désert alimentaire (13,1 % en milieu rural). À Montréal, c’est 20,4 % de la population dont l’accès est plutôt faible aux commerces d’alimentation (Vivre en Ville, 2014). Une étude d’Apparicio et Séguin (2006) indique par ailleurs que 58 % des aînés montréalais habitant dans des logements publics (p. ex., HLM) ont un accès plus ou moins limité aux ressources et aux équipements urbains, dont les supermarchés.
L’accès à une saine alimentation représente un enjeu majeur pour les aînés peu ou non motorisés, notamment dans un contexte où les villes modernes, avec leurs banlieues, leurs autoroutes et leurs mégacentres commerciaux ont rendu l’accès aux commerces souvent plus difficile (Vivre en Ville, 2014).
Quatre pistes d’action pour améliorer l’accès à des aliments sains
Dans ce contexte, quatre pistes d’action semblent particulièrement prometteuses afin d’améliorer l’accès à des aliments sains pour les personnes aînées :
- la localisation des infrastructures alimentaires à proximité des milieux de vie;
- l’amélioration de la qualité de l’offre alimentaire existante;
- l’optimisation des transports vers les infrastructures alimentaires; et
- la lutte contre l’insécurité alimentaire.
Ces quatre grandes stratégies participent à la création d’environnements favorables à une saine alimentation, en rendant les aliments sains plus accessibles d’un point de vue géographique (via la proximité des commerces alimentaires avec les lieux de résidences), physique (via la réduction des barrières physiques pour se déplacer vers les commerces) et financier (via le renforcement de la capacité des aînés à payer pour des aliments sains).
La localisation des infrastructures alimentaires
La localisation des commerces alimentaires à proximité des milieux de vie, et plus particulièrement des milieux à forte densité de population vieillissante, est essentielle afin de permettre aux personnes âgées d’accéder à pied à un commerce alimentaire qui offre des aliments sains.
Voici quelques exemples d’actions pouvant être menées à l’échelle des villes et des municipalités (Vivre en Ville, 2014) :
- se doter d’une politique de localisation incluant les activités et les infrastructures alimentaires;
- se doter d’une politique alimentaire et définir des critères de localisation clairs pour implanter des commerces alimentaires à proximité des secteurs où il y a une forte concentration d’aînés;
- prioriser, dans certains secteurs, notamment les déserts et les marais alimentaires, l’implantation de commerces se spécialisant dans la vente d’aliments locaux et biologiques;
- réglementer l’affichage commercial afin que la saine alimentation soit davantage mise en valeur.
L’amélioration de la qualité de l’offre alimentaire
L’amélioration de la qualité de l’offre alimentaire existante peut prendre plusieurs formes, ayant en commun l’augmentation de la proportion de fruits et légumes. Il est notamment possible d’intégrer des aliments sains abordables dans les commerces de proximité (dépanneurs, épiceries de quartier), de maximiser le nombre de marchés publics saisonniers ou d’ajouter un menu sain dans les installations et les établissements publics (écoles, hôpitaux, CHSLD).
À titre d’exemple, entre 2009 et 2015 au Danemark, le pourcentage d’aliments biologiques servis dans les centres pour personnes âgées est passé de 56 % à 82 %, et pour les repas livrés aux domiciles des aînés, de 0 % à 60 % (Ruby, 2018). Au Québec, une initiative comme La carotte joyeuse, un projet porté par la Corporation de développement communautaire (CDC) de la MRC de Nicolet‑Yamaska, vise à récupérer, transformer et revaloriser des surplus agricoles et des produits alimentaires déclassés afin d’offrir aux personnes dysphagiques habitant dans les centres d’hébergement de soins de longue durée (CHSLD) de la nourriture à texture adaptée.
Voici quelques exemples d’actions pouvant être menées à l’échelle des villes et des municipalités (Vivre en Ville, 2014) :
- implanter des « dépanneurs santé » offrant des fruits et légumes à proximité des secteurs où il y a une forte concentration d’aînés;
- bonifier l’offre alimentaire saine (p. ex., fruits et légumes biologiques) dans les établissements publics;
- remplacer, dans les machines distributrices, les produits riches en gras, sel et sucre par des produits plus sains.
L’optimisation des transports vers les infrastructures alimentaires
L’accès des aliments sains passe entre autres par une offre en transport de qualité et adaptée aux besoins des personnes aînées et à mobilité réduite. Par exemple, la mobilité des aînés peut être améliorée en articulant l’urbanisation et le transport collectif, en facilitant les déplacements actifs vers les commerces alimentaires et en optimisant les services de transport vers les aliments sains.
Voici quelques exemples d’actions pouvant être menées à l’échelle des villes et des municipalités (TCAIM, 2008; Vivre en Ville, 2014) :
- connecter le réseau de transport en commun au cœur de quartier ainsi qu’aux secteurs à forte concentration d’aînés (p. ex., près des résidences pour personnes âgées);
- prévoir des accès piétonniers larges à proximité des commerces alimentaires, incluant des bancs et des aires de repos;
- allonger le temps réservé aux traverses aux feux de circulation se trouvant à proximité des commerces d’alimentation;
- prévoir un service de navette adapté, en dehors des heures de pointe, pour faciliter le transport des lieux de résidences vers les commerces alimentaires;
- mettre en place une tarification sociale « aînés » pour le transport en commun;
- favoriser des mesures visant l’accessibilité universelle.
La lutte contre l’insécurité alimentaire
Les personnes âgées sont parmi les personnes les plus susceptibles de se retrouver en situation d’insécurité alimentaire, avec les familles monoparentales, les femmes ayant un faible revenu, les personnes immigrantes et les communautés autochtones (van Kemenade, 2015). En effet, l’insécurité alimentaire touche des milliers d’aînés au Québec et le nombre d’entre eux qui fréquentent les banques alimentaires est en hausse d’année en année (Les Banques alimentaires du Québec, 2017). La solitude, le risque de chutes ou d’accidents, le faible revenu et le manque d’accès aux ressources alimentaires sont identifiés comme étant des facteurs vulnérabilisant pour les personnes aînées (van Kemenade, 2015). L’accroissement de leur capacité d’agir et de leur pouvoir d’achat représente dans ce contexte une piste d’action porteuse.
Voici quelques exemples d’actions pouvant être menées à l’échelle des villes et des municipalités (van Kemenade, 2015; Vivre en Ville, 2014) :
- implanter des cuisines collectives dans les résidences pour personnes âgées;
- soutenir l’action des organismes communautaires qui offrent des services d’aide ou d’entraide alimentaires, entre autres pour les personnes âgées;
- mettre en place des services de popotes roulantes et de préparation de repas sains à domicile pour les personnes aînées;
- adopter des incitatifs financiers pour encourager les personnes à plus faible revenu à consommer plus de fruits et légumes;
- offrir des services de transport gratuits vers les services d’aide et d’entraide alimentaires;
- adopter une politique MADA (Municipalité amie des aînés) afin d’encourager la lutte contre l’insécurité alimentaire.