Une multitude de déterminants
Le logement est non seulement un bien de première nécessité, mais représente également la plus importante dépense de consommation des ménages.
Cela est particulièrement vrai chez les locataires. En 2006, plus du tiers des ménages locataires québécois ont consacré plus de 30 % de leur revenu mensuel brut à se loger et 16,1 % y consacraient même plus de 50 % (ISQ, 2009b) (Figure 2).
La problématique de l’abordabilité ne concerne cependant pas que les ménages locataires. Toujours en 2006, 8,5 % des ménages propriétaires consacraient un taux d’effort élevé (30 à 49 %) à se loger, et 5,4 % un taux très élevé (50 % et plus) (ISQ, 2009b). La croissance rapide des valeurs foncières peut rendre difficile l’accession à la propriété pour la classe moyenne, en particulier dans les grands centres urbains. Elle peut aussi induire une pression sur le marché locatif qui est un vase communicant à la propriété. L’assouplissement des règles d’accession à la propriété apparaît souvent comme une des solutions permettant de pallier aux crises de logement comme il s’en est vu au début des années 2000 au Québec (Hurteau, 2013). Les gouvernements sont de plus en plus appelés à élaborer des programmes ou des alternatives d’accession à la propriété abordable afin de répondre aux aspirations des ménages, de réduire la pression sur le marché locatif et restreindre l’étalement urbain.
Plusieurs autres déterminants jouent sur les enjeux d’abordabilité des logements. Ainsi, les ménages à faible revenu, les personnes vivant seules, les aînés, les femmes chef de famille monoparentale et les immigrants sont plus susceptibles de souffrir de problèmes d’abordabilité (Statistique Canada, 2010).
Un enjeu complexe et en évolution
L’abordabilité est un indicateur complexe en ce sens qu’il est étroitement lié à l’évolution de l’activité économique et immobilière, ainsi qu’aux changements démographiques. L’amélioration des milieux de vie (augmentation de la proximité et de la mixité des activités, amélioration des espaces publics, offre de transport en commun efficace, etc.) apporte des gains réels pour la qualité de vie des citoyens, l’environnement et la compétitivité économique. Elle peut cependant avoir une incidence défavorable sur l’abordabilité des logements en induisant une pression sur les prix fonciers et les loyers.
De plus, un logement peut être inabordable parce que son coût est trop élevé, mais aussi parce que le revenu s’avère insuffisant pour couvrir les frais d’un logement pourtant relativement bon marché. En 1996, le Québec se relevait lentement d’une importante récession qui avait entraîné une détérioration des revenus d’emploi (Joanis et Godbout, 2009), une hausse significative du chômage et du nombre de ménages à faible revenu. En parallèle, le gouvernement fédéral se désengageait de la production de logements sociaux (Bourque et Charest, 2012). Le taux d’effort des ménages locataires était alors historiquement élevé (voir Figure 2).
Les impacts d’un marché immobilier inabordable
Conséquences individuelles
L’incapacité de se trouver un logement décent, c'est-à-dire un logement de qualité et de taille acceptables à un prix abordable, peut entraîner des conséquences importantes sur la santé physique, mentale et financière des ménages.
Le montant qu’un ménage peut consacrer à se loger aura un impact déterminant sur la taille et la qualité du logement, le type de quartier, ainsi que l’accès aux services publics, aux commerces et aux emplois (Statistique Canada, 2010). Une bonne situation de logement augmente les chances d’obtenir de bons résultats scolaires, d’acquérir de nouvelles compétences et de trouver un emploi (SCHL, 2010).
Plus généralement, les individus et les familles qui peinent à couvrir leurs frais d’habitation éprouvent davantage de difficultés à assumer leurs autres dépenses courantes (en particulier de transport et d’alimentation), à se sortir de l’endettement et à se doter d'un fonds d'épargne pour les situations d'urgences. Ils sont aussi plus susceptibles de souffrir de stress dommageable pour la santé et à travailler de longues heures, ce qui peut avoir des répercussions sur les enfants (SCHL, 2003).
Une majorité de ménages québécois parvient à trouver un logement de taille et de qualité acceptable. Celui-ci ne convient toutefois pas nécessairement à leurs moyens financiers. En 2006, le critère d’abordabilité était responsable de plus des trois-quarts des besoins impérieux en matière de logement au Québec (SCHL, 2011).
Diversité de population
Une intégration insuffisante de logements abordables dans le tissu urbain peut conduire à l’exclusion de certaines couches sociales ou à leur isolement par la création de quartiers défavorisés. Si certaines personnes marginalisées y trouvent refuge, notamment les minorités visibles, elles peuvent également s’y retrouver piégées par la ségrégation économique et sociale. Inversement, des stratégies de logement abordable peuvent contribuer à déconcentrer la pauvreté, renforcer la sécurité et la cohésion sociale et favoriser la cohabitation interculturelle dans la société (SCHL, 2003).
C’est ce que la Ville d’Helsinki (Finlande) s’efforce de faire à travers sa politique en matière de logement, qui repose sur le principe d’intégration sociale. L’ensemble des outils de planification du gouvernement finlandais, dont sa politique architecturale, vient appuyer ces efforts. En préconisant, sur l’ensemble de son territoire, un style architectural relativement sobre, mais surtout un design urbain de grande qualité et en harmonie avec le patrimoine naturel, la Ville favorise un espace socialement diversifié. Ainsi, la capitale finlandaise ne compte pas de quartier véritablement défavorisé, de quartier dégradé, marqué par une surpopulation et où les conditions de logement et de salubrité sont mauvaises (OCDE, 2003).
Vitalité économique et rentabilité collective
Le logement constitue un intrant incontournable à la prospérité des villes et des régions urbaines, ayant diverses influences. La diversité de population est importante pour la capacité qu’une ville peut avoir d’attirer les talents chez elle. De plus, « il existerait une forte corrélation entre, d'une part, la proportion d'artistes et de créateurs dans une population, appelée « indice bohémien », et, d'autre part, la concentration d'industries axées sur les connaissances et les technologies » (SCHL, 2003). Pour les municipalités, le logement abordable peut soutenir la revitalisation des quartiers et l’élargissement de l’assiette fiscale, la rentabilisation des infrastructures (CMM, 2012).
L’effet domino : du logement vers les transports
Les politiques publiques en matière de logement abordable sont appelées à évoluer pour tenir compte d’une réalité jusqu’à maintenant négligée : le transfert des dépenses du logement vers les transports. Les habitations localisées en périphérie des villes présentent généralement un coût d’achat moins élevé, d’où un habituel mouvement des populations moins aisées du centre vers la périphérie à mesure que la ville centre améliore la qualité de son environnement. Plutôt qu’avoir accès au transport en commun, ces ménages se trouvent dès lors dépendants de l’automobile, augmentant significativement leurs dépenses de transports. Dans la région métropolitaine de Montréal, le coût moyen individuel associé à l’utilisation du transport en commun est estimé à 0,16 $ du kilomètre, comparativement à 0,47 $/km pour l’automobile1 (CCMM-SECOR, 2010). Le coût total d’utilisation d’une automobile varie entre 8000 et 15 000 dollars annuellement (CAA, 2011).
Une réponse multidimensionnelle exigeant volonté politique
Le marché immobilier laissé à lui-même ne peut répondre aux problèmes du logement social, bien que les promoteurs aient une responsabilité sociale en raison de la pression foncière qu'exercent leurs activités immobilières. La réussite de stratégies pour l’inclusion de logements abordables est fortement tributaire de la volonté et de l’implication des paliers de gouvernement, tant municipaux que provincial et fédéral. Il existe au Québec plusieurs programmes à cet égard. Il est également possible de s’inspirer de nouvelles approches et d’élargir le spectre des interventions en faveur de l’abordabilité à l’ensemble des activités d’une municipalité, telles que l’urbanisme.
La mise en œuvre d’une stratégie efficace exige donc une réelle coordination entre les différents acteurs qui touchent de près ou de loin à la problématique par leurs activités : le financement du logement abordable, l’urbanisme, la mise en œuvre de politiques familles, la législation du marché immobilier.