La genèse du projet
En 1998, la Ville de Seattle décide de consacrer une partie de ses fonds publics à la réalisation de projets novateurs en vue du nouveau millénaire. Plusieurs espèces de saumon, emblème du King County dans lequel se trouve Seattle, sont alors considérées comme menacées ou en danger. C’est ainsi que le service des travaux publics de la Ville de Seattle se voit accorder une part de ces fonds afin d’investir dans la mise en uvre d’un système de drainage naturel poursuivant deux objectifs : améliorer la qualité de l’eau pour les populations de saumons vivant dans l’estuaire du Puget Sound, et parvenir à une gestion des eaux pluviales plus efficace et moins coûteuse en matière de rétention de l’eau de ruissellement (Levitt et Bergen, 2004).
Fortement urbanisée, la Ville de Seattle choisit d’abord d’intervenir sur l’aménagement de ses rues. En effet, celles-ci sont de propriété publique et identifiées comme les principales responsables de l’écoulement d’eaux pluviales contaminées (Landers, 2004). De surcroît, elle réalise les premiers projets dans des secteurs de maisons individuelles où les rues n’ont ni trottoirs ni caniveaux, où les systèmes d’égouts pluviaux en place sont inadéquats, et où les risques d’instabilité des sols sont minimes (les pentes ne dépassent pas 4 %) (Levitt et Bergen, 2004; Landers, 2004; LCCP, 2006; Vogel, 2006).
Un projet de démonstration
Le projet de démonstration Street Edge Alternatives (SEA), sur la 2nd Avenue NW, à Seattle, est complété en 2001 (City of Seattle, s.d.a). On y réaménage alors toute l’emprise publique de la rue, alliant ingénierie hydraulique, science des sols et botanique (City of Seattle, s.d.a). Ce tronçon de rue d’environ 200 mètres de long, et sur lequel la chaussée n’a désormais qu’une largeur de 4,3 mètres, se prolonge sur deux pâtés de maisons, serpentant entre les 117th et 120th Streets (Horner, Heugkook et Bruges, 2002).
L’objectif du projet est de montrer comment un système de drainage naturel peut être mis en place afin de recréer les conditions d’écoulement des eaux pluviales correspondant à l’état des lieux avant toute construction. Plus précisément, le système doit pouvoir supporter des épisodes d’orage de 24 heures de récurrence 2 ans et impliquant des précipitations de 4,3 centimètres (City of Seattle, s.d.a).
Les interventions privilégiées pour atteindre ces objectifs sont le nivelage des sols, la mise en place de surfaces imperméables, ainsi que la plantation d’arbres et arbustes afin de ralentir l’écoulement des eaux pluviales et d’en retenir la majeure partie sur place, sur une plus longue période (City of Seattle, s.d.a).
L’adaptation du projet aux enjeux locaux
Il était initialement envisagé que le projet retienne sur place l’eau de pluie de l’ensemble de l’aire de drainage (0,93 hectare), comprenant la rue et les terrains construits situés du côté est, plus pentu (Horner, Heugkook et Bruges, 2002). L’objectif a été revu : seul le drainage de la rue a été réalisé, puisque les constructions sur les terrains compris dans l’aire de drainage étaients sujettes à des infiltrations d’eau, problème qui aurait pu être exacerbé par l’ajout de mesures de biorétention et de filtration sur place. On a ainsi aménagé des rigoles en argile le long de la rue, lesquelles ont surtout permis de ralentir considérablement l’écoulement des eaux pluviales dans le secteur, plutôt que de permettre de les filtrer sur place (City of Seattle, s.d.a).
Des retombées en matière d’adaptation aux changements climatiques
Dans le cadre du projet SEA, 1200 arbres et arbustes ont été plantés et les surfaces imperméables ont été réduites de 11 % comparativement à une rue traditionnelle (City of Seattle, s.d.a).
Le système de drainage mis en place a permis de réduire de 99 % le volume d’eaux pluviales s’échappant de la rue (City of Seattle, s.d.a). De plus, la capacité de rétention des plantes s’est avérée évolutive : au fur et à mesure que la végétation gagne en importance, sa capacité de rétention s’accroît (Vogel, 2006).
Enfin, le tracé sinueux des noues et les plantations effectuées en bordure de rue ont contribué à ralentir la circulation véhiculaire et à créer un espace intéressant pour la marche, tout en réduisant les îlots de chaleur urbains (City of Seattle, s.d.a).
Contribution de la communauté
Initialement évalué à 244 000 $US, le projet a coûté un total de 850 000 $US. Les coûts additionnels sont en bonne partie attribuables aux nombreux apprentissages, notamment liés au caractère novateur du projet et au besoin d’en assurer l’acceptabilité sociale afin de pouvoir reproduire le processus à d’autres endroits de la ville (Horner, Heugkook et Bruges, 2002). La Ville a misé sur la participation citoyenne, notamment pour désigner les arbres à conserver et les nouvelles plantations à effectuer (City of Seattle, s.d.a). Grâce à ces apprentissages, les projets de systèmes de drainage naturel subséquents ont coûté de 15 à 25 % moins cher qu’un système d’égout pluvial traditionnel, permettant de retrancher entre 50 000 $US et 200 000 $US de la facture (GCC, s.d.; Landers, 2004).
Le service des travaux publics de la Ville de Seattle a été récipiendaire d’un prix Innovations in American Government accompagné d’une bourse de 100 000 $US afin de diffuser les bons coups de sa stratégie de mise en uvre de systèmes de drainage naturel. Ce prix est décerné en tenant compte du caractère novateur du projet soumis, de sa capacité à répondre adéquatement à un problème, du caractère concret de ses résultats et de sa reproductibilité (Levitt et Bergen, 2004).
La suite
Plusieurs projets et outils ont été réalisés et développés par la Ville de Seattle dans la foulée du projet SEA.
Dans les secteurs plus pentus, un deuxième type d’approche dite « en cascade » a notamment été utilisée. Une série de bassins étagés, connectés les uns aux autres et longeant la rue ont été intégrés au projet 110th Street Cascade (Landers, 2004). Les projets Broadview Drive et High Point, de plus grande envergure (respectivement 15 et 34 pâtés de maisons), ont bénéficiés d’interventions tirées à la fois de l’approche SEA et de l’approche en cascade (LCCP, 2006; City of Seattle, s.d.b).
On retrouve sur le site Web de la Ville de Seattle un manuel d’entretien de routine. Il indique, d’une part, les engagements de la Ville et les gestes qu’elle pose afin de maintenir les différentes infrastructures de drainage fonctionnelles et, d’autre part, l’implication attendue des résidents-riverains pour l’entretien de l’aménagement paysager (City of Seattle, s.d.c). Du matériel additionnel précise le calendrier à suivre, notamment en matière d’arrosage et de désherbage, aide à l’identification des différents végétaux, et renseigne sur les indicateurs de suivis utilisés par la Ville.
La réglementation et les documents de planification actuels permettent l’application de mesures de biorétention et l’implantation de jardins de pluie en bordure de rue ou dans l’emprise publique (City of Seattle, 2018; City of Seattle, 2017).