Pour en savoir plus sur l'initiative :
Et sur l'autopromotion :
Le parcours tortueux de la formation du groupe
Des séances d’information organisées par Michel Desgagnés, l'instigateur de Cohabitat Québec, jusqu’à la signature d’une promesse d’achat par les membres officiels, plusieurs étapes ont jalonné la formation du groupe. Celles-ci peuvent se regrouper en deux principales phases, entre lesquelles une importante restructuration a eu lieu.
Cohabitat Québec 1 (CQ1) – 2004 à 2008
Michel Desgagnés organise des séances d’informations pour recruter des membres autour de son projet de cohabitat. Les séances d’informations attirent près de 900 personnes. Un premier groupe est créé : sept ménages qui forment le noyau du projet, et une centaine de personnes admises comme membres « à l’essai » ou « éventuels ». Dans sa première phase, le groupe comprendra jusqu’à 27 ménages, en plus des membres éventuels.
Durant les premières années de démarrage du projet, le groupe organise différents ateliers et activités afin de permettre aux membres, d'une part, d'en apprendre davantage sur le fonctionnement des communautés intentionnelles et des cohabitats et, d'autre part, de mieux se connaître et de définir les orientations précises de leur futur cohabitat.
Le processus d’élaboration du projet (choix du terrain, définition de la mission et élaboration de la charte du groupe, etc.) est laborieux, notamment pour ce qui est de la gouvernance. La prise de décision s'effectue avec tous les membres présents aux assemblées générales mensuelles, sans conseil d'administration ni système de représentation, ce qui s’avère une structure de gouvernance peu efficace. Le projet a du mal à avancer puisque des décisions sont constamment bloquées par l’opposition de certaines personnes.
L'un des choix cruciaux est celui de la localisation du terrain. À cet égard, la seule orientation de départ stipule qu'il doit être situé dans un rayon de quinze kilomètres du centre-ville et que le choix du site doit être entériné par 70 % des membres. Cette majorité n’est jamais atteinte pour les différents emplacements proposés. Certains membres perdent de l’intérêt, ou saisissent au fil des années d’autres opportunités d’accéder à une habitation. Le groupe finit par se dissoudre en 2008 (Gueppe, 2016).
Cohabitat Québec 2 (CQ2) – 2009 à ce jour
En 2009, six personnes membres de Cohabitat Québec 1, prêtes à s’engager et à investir dans le projet, relancent le processus de recrutement sur de nouvelles bases et créent un nouveau groupe. Le lieu de construction de cohabitat est mieux défini : le noyau de treize ménages souhaite s’installer en ville, plutôt qu’en périphérie, ce qui exclut d’emblée certains membres du groupe précédent.
La sociocratie devient le mode de prise de décision officiel et le processus d’adhésion est modifié. Deux statuts de membres sont définis : membres auxiliaires et membres à part entière. Les membres auxiliaires peuvent jouir de ce statut particulier pendant une période maximale de six mois, à la suite de quoi ils doivent devenir membres à part entière ou quitter le groupe.
Les membres auxiliaires doivent :
- suivre deux formations : sur la sociocratie et sur la communication consciente;
- devenir membre de la coopérative;
- observer les comités et participer aux activités.
Les membres à part entière doivent :
- répondre à tous les critères et compléter différents documents tels que la Fiche d’intégration et le document Mes besoins de vie;
- s’engager financièrement, c’est-à-dire signer une promesse d’achat;
- intégrer un cercle et une équipe de travail (Cohabitat Québec, 2015).
De l’OBNL à la copropriété, en passant par la coopérative
Aucun statut légal parfaitement adapté au cohabitat
Afin de constituer une personne morale enregistrée, le groupe doit absolument obtenir un statut légal. Ce statut est nécessaire entre autres afin :
- de se protéger de poursuites coûteuses ou d’impôts exorbitants;
- d’obtenir un prêt et de rassurer les partenaires financiers;
- de protéger et de rassurer les membres, en assurant une distinction entre leurs biens personnels et ceux du groupe;
- de régir les ententes collectives avec un encadrement légal supérieur;
- de bien répondre aux critères de la communauté (Gueppe, 2015).
Formant le premier groupe de cohabitat au Québec, les membres n’ont pas pu se fier à un modèle existant ou s’inspirer d’expériences précédentes. Ils ont plutôt dû explorer les différents statuts légaux envisageables, et c’est ce qui explique les changements de statut du groupe.
Les options de statut légal de personne morale pertinentes pour un groupe comme celui de Cohabitat Québec étaient l’organisme à but non lucratif (OBNL), la coopérative ainsi que le syndicat de copropriété. Aucune de ces personnes morales n’est cependant parfaitement adaptée aux communautés intentionnelles. En plus d'avoir eu à se référer au Code civile afin d’être éclairé dans son choix, Cohabitat Québec a sollicité l’aide d’avocats, de notaires et de groupes de ressources techniques (GRT). Plusieurs critères sont entrés en ligne de compte dans le choix du statut légal :
- le degré d’attachement au titre de propriété;
- le degré de protection financière;
- la capacité de réduire la charge fiscale;
- la souplesse dans la prise de décision;
- la conformité aux valeurs du groupe;
- la capacité d'atteindre les buts du groupe.
Tableau A. Avantages et inconvénients des différents statuts légaux
Avantages | Inconvénients |
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Organisme à but non lucratif | |
Moins de règles et d’administration | Forme et modalités de dissolution, peu encadrées |
En cas de liquidation, priorité au membre créancier pour le remboursement de son prêt | |
En cas de dissolution, avoir résiduel réparti entre les membres | |
Nouvelles adhésions régies par règlement, plutôt que par la loi, et possibilité de catégories de membres | |
Coopérative | |
Forme et modalités de dissolution bien encadrées |
Beaucoup de gestion et d’administration, par exemple, un rapport annuel obligatoire |
Possibilité de choisir les membres et d'exiger des nouveaux qu'ils suivent une formation | En cas de liquidation, dernier rang de remboursement de ses parts au membre |
Possibilité de prise de décision selon la formule : 1 membre = 1 vote | En cas de dissolution, avoir résiduel dévolu à une autre coop ou à une fédération |
Éthique et valeurs fondamentales partagées par le groupe | |
Obtention facilitée du financement avec la Caisse d’économie solidaire | |
Syndicat de copropriété | |
Approprié pour les unités d’habitation | Gestion de la location par la régie du logement et impossibilité de choisir les locataires |
Primordial pour la propriété privée des logement | Peu approprié pour le bâtiment commun |
Mode de propriété superficiaire (part de vote selon le pourcentage des investissements ou de la superficie achetée), alors que Cohabitat Québec est une propriété collective | |
Source : Gueppe, 2015. |
Les changements de statuts légaux
Au tout début du projet, c’est le statut de coopérative qui est choisi. Il s’agit de la seule structure qui permet de choisir des membres selon les critères et les valeurs du groupe. Cependant, afin de simplifier les procédures, le groupe choisi plus tard de se constituer en OBNL, un statut qui comporte moins d’exigences légales, telles que le rapport annuel exigé au coopératives.
Après la dissolution du groupe CQ1, le nouveau groupe de Cohabitat Québec (CQ2) est créé sous la forme d’un OBNL pour la phase de redémarrage et de recrutement de membres. Cohabitat Québec se constitue à nouveau en coopérative de solidarité en décembre 2009. Elle agit alors, pour la conception et la construction du projet, à titre de promoteur et de gestionnaire. Les membres sont ainsi considérés comme des consommateurs, à titre d’occupants.
Le choix de l’entité coopérative se fait notamment en prévision d’éventuelles locations des habitations. S’il s’agissait uniquement d’une copropriété, les propriétaires ne pourraient pas discriminer d’éventuels locataires selon leur adhésion ou non aux valeurs du groupe, le choix des locataires étant ultimement géré par la Régie du logement. La coopérative offre aussi l’avantage d’octroyer un vote à chaque membre (propriétaire-occupant), sans égard à la superficie de son logement, contrairement aux principes superficiaires de la copropriété divise. Cohabitat Québec n’a toutefois pas mis en place un système de parts tel que celui associé aux coopératives. Les membres ont plutôt établi des contrats pour les prêts aux membres et les mises de fonds. Par ailleurs, en constituant une coopérative de solidarité, le prêt a été accordé plus facilement par la Caisse d’économie solidaire, étant elle-même une coopérative et partageant la même philosophie.
Puisque les membres du groupe désiraient être propriétaires exclusifs de leur logement, la coopérative a vendu les logements aux membres avec des hypothèques séparées, sous forme de copropriété divise. Un syndicat de copropriété a été créé en juin 2013, mais celui-ci a délégué sa gestion à la coopérative de solidarité.
Chaque modification du statut du groupe a exigé le vote des deux tiers des membres.
Statut légal et litige avec la Régie du bâtiment
Un litige avec la Régie du bâtiment du Québec (RBQ) concernant le statut légal de Cohabitat Québec a constitué une entrave importante au projet. La RBQ réclamait que le groupe détienne le statut d’entrepreneur en construction, comme tout promoteur immobilier, et qu'il obtienne les licences qu'exige ce statut. Elle a contesté devant les tribunaux la construction du projet sans ces licences.
De son côté, le groupe de Cohabitat Québec s’étant constitué en coopérative de solidarité, il se considérait plutôt comme « un constructeur propriétaire », avec des objectifs totalement différents de ceux d’un promoteur, le groupe ne recherchant aucunement à réaliser un profit. Par ailleurs, l’entrepreneur général à qui la construction a été confiée détenait toutes les licences requises. Cohabitat Québec a ainsi refusé de payer les milliers de dollars associés aux licences de promoteur.
Cohabitat Québec a eu gain de cause devant la Commission sur les normes du travail, qui a attesté qu’un constructeur-propriétaire est exempt de license (art. 49.1), mais la RBQ a ensuite porté la cause en Cour supérieure. Le 17 novembre 2016, la Cour supérieure a donné raison à la Commission sur les normes du travail, et confirmé le statut de constructeur-propriétaire de Cohabitat Québec.
Ce litige met en lumière les problèmes associés à l’absence de statut légal complètement adapté à une communauté intentionnelle et un groupe d’autopromotion comme Cohabitat Québec. La license d’entrepreneur réclamée par la RBQ était, selon elle, requise en raison de la vente des logements de la coopérative à ses membres. Cette transaction était primordiale pour Cohabitat Québec car le seul statut légal de coopérative n’était pas adapté aux objectifs du groupe, notamment celui que chaque ménage soit propriétaire de sa propre unité d’habitation (Porter, 2016; Gueppe, 2016; Cohabitat Québec, 2017).
Tableau D. Description synthèse du projet de Cohabitat Québec
Élaboration du projet (du recrutement des premiers membres du groupe jusqu’à l’inauguration des bâtiments) |
2004 à 2013 |
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Nombre de logements | Total de 42 logements :
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Nombre d’habitants adultes | enfants (2016) | 65 adultes | 40 enfants |
Superficie du terrain | 10 854 m2 |
Superficie construite (planchers) | 5 518 m2 |
Densité du projet | 57,5 log./ha |
Stationnement :
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Taille des logements :
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Coût total du projet | 11,2 M$ |
Prix des logements à l’achat (2013) | De 215 000 $ à 418 000 $ |
À la base du projet, une initiative personnelle
Michel Desgagnés, un résident de Québec, est l’instigateur du projet de Cohabitat Québec. Inspiré par une tournée des cohabitats (cohousing communities) américains et canadiens, il cherchait un milieu favorable à l’adoption d’un mode de vie différent de celui rendu possible par les immeubles à condos conventionnels et autres types d’habitations s’y apparentant. Il aspirait à une vie plus communautaire axée sur le partage et le développement durable, mais où la vie privée aurait toute sa place.
En 2004, il lance avec sa conjointe un appel aux intéressés pour créer un écovillage urbain et communautaire à Québec. L’appel est lancé à toute personne, famille ou ménage désirant être propriétaire-occupant et vivre en communauté, partageant des valeurs sociales et écologiques et souhaitant vivre dans un milieu convivial bâti à son image. Des rencontres sont ainsi organisées afin de recruter des membres pour le projet.
Un désir commun : combler un besoin de vie en communauté
Les personnes qui se présentent aux rencontres d’information partagent les mêmes désirs de vie en communauté et de partage. C’est essentiellement les valeurs communautaristes qui motivent les aspirants cohabitants. Différents types de ménages démontrent de l’intérêt pour le projet : des couples avec ou sans enfants, des personnes seules actives ou retraitées, etc. Ils y voient un moyen d’enrichir leurs relations interpersonnelles et intergénérationnelles. Pour certains, il s’agit d’un moyen d’être mieux entourés, par exemple, pour des personnes seules ou des ménages dont la famille réside à l’étranger (Laberge, 2014).
Briser l’isolement des personnes âgées en misant sur l’intergénérationnel
L’aspect intergénérationnel est rapidement mis de l’avant dans le projet, puisque l’on souhaite que les familles avec de jeunes enfants et les personnes plus âgées se côtoient. Ce principe est à l’opposé du concept de résidence pour personnes âgées, l’option la plus commune pour briser l’isolement de ces personnes, et fait office de vent de fraîcheur pour certains intéressés.
Je ne me voyais pas dans une résidence pour personnes âgées, alors j’ai contribué à inventer ma place pour rester. [...] Je voulais retrouver la vie de quartier que j’ai connue jadis [...] Le parvis de l’église, l’épicerie du village, le voisin tout près sur qui on pouvait compter, l’entraide et la vie de groupe [...].
Paul-Henri April (propos recueillis par Laberge, 2014)
Les prérequis : l’implication et l’engagement
Les personnes qui s’intéressent à Cohabitat Québec doivent avoir les ressources financières nécessaires pour investir dans un projet immobilier, soit des revenus de moyens à élevés. Certains sont d’ailleurs particulièrement intéressés à accéder à la propriété de façon collective, une voie en principe plus abordable que la propriété individuelle conventionnelle.
Autre prérequis implicite : de fortes aptitudes sociales et la capacité de s’impliquer sont essentielles, puisque le mode de vie collectif et l’élaboration du projet nécessitent une intense collaboration de la part de tous les membres. Les projets de cohabitat peuvent être complexes et de longue haleine; la motivation, la persévérance et l’engagement sont des atouts indéniables pour toute personne intéressée par cette voie.
Le groupe de Cohabitat Québec, pendant sa consolidation, a défini les règles de vie, les processus de décisions et les modes de communication à privilégier sur la base des principes de sociocratie et de communication consciente. Les nouveaux membres doivent donc faire preuve d’une ouverture d’esprit et adhérer à ces principes.
La mission et la vie communautaire du groupe
Un projet et un mode de vie portés par des valeurs communautaires et écologiques
Dans sa Charte élaborée en 2011, Cohabitat Québec énonce la mission, la vision et les valeurs que le groupe s’est données afin de guider, d’une part, l’élaboration du projet et, d’autre part, le mode de vie communautaire qui sera adopté une fois la construction réalisée.
La mission que s’est donnée Cohabitat Québec est de concevoir, de réaliser et d'animer un cohabitat écologique pour ses membres-propriétaires-occupants, à un coût total de possession par ménage n'excédant pas celui d'une unité d'habitation comparable sur le marché avoisinant (Cohabitat Québec, 2011).