L’essor et le déclin d’une petite communauté rurale
Dès le début des années 1900, Saint-Camille compte déjà plusieurs commerces et services de proximité, dont un magasin général, une boulangerie, une fromagerie et une scierie, en plus d’être l’un des premiers villages du Québec à être électrifié (Dufresne, 2012). Parallèlement, le village connaît une explosion démographique : on passe de quelques dizaines d’habitants dans la dernière moitié du 19e siècle à plus de 1000 habitants en 1911 (Klein et collab., 2015), ce qui a pour conséquence de dynamiser encore plus l’activité économique de la collectivité. Comme plusieurs communautés rurales à l’époque, Saint-Camille se distingue par une importante activité agricole et forestière. L’économie locale roule à plein régime et la population connaît une certaine prospérité (Béïque, 2009).
Cependant, avec la montée de l’industrialisation au 20e siècle, les grandes villes se développent à un rythme effréné et drainent avec elles les populations rurales afin de répondre aux impératifs d’une économie de marché alors en pleine expansion (Vivre en Ville, 2014). À Saint-Camille, cela se traduit concrètement par la fermeture de plusieurs commerces et services de proximité, la disparition de certains secteurs d’activité ainsi qu’une diminution importante de la population. Entre les années 1920 et 1985, le village perd plus de la moitié de sa population, passant de 1000 habitants à moins de 450. Dans la MRC des Sources, entre 1970 et 1991, 75 fermes cessent leurs activités et la population agricole chute de 2485 à 1015 personnes (Béïque, 2009). La polyculture et les petits élevages laissent leur place à une agriculture commerciale de plus en plus productiviste, vouée à l’exportation (Béïque, 2009; Klein et collab., 2015).
Des initiatives nourricières pour lutter contre la dévitalisation
Afin de lutter contre la dévitalisation démographique et économique qui frappe leur milieu de plein fouet jusqu’au début des années 2000, des citoyens et des élus de Saint-Camille se mobilisent et décident de faire preuve d’ingéniosité pour mettre en place des initiatives de revitalisation susceptibles de redynamiser la collectivité, dont trois initiatives nourricières : une ferme maraîchère, un ensemble résidentiel agroforestier et un incubateur d’entreprises agricoles.
La Clé des Champs
Mise sur pied en 2003, la Clé des Champs est une entreprise agricole qui se spécialise en production maraîchère biologique. Gérée au départ sous forme de coopérative de solidarité par des citoyens souhaitant combattre le déclin démographique et économique, la Clé des Champs devient une entreprise privée à la suite de difficultés administratives et financières en 2010. Aujourd’hui, un couple de maraîchers s’occupe de la production ainsi que de la distribution des fruits et légumes auprès de 160 familles de Saint-Camille et de l’Estrie.
Située en plein cur du village, la Clé des Champs cultive 1,6 hectare de produits maraîchers, dont plusieurs petits fruits et une quarantaine de variétés de légumes biologiques. Les produits sont distribués en circuits courts, au kiosque de la ferme, à l’épicerie du village, au marché public de Saint-Camille ainsi qu’au Marché de la Gare, à Sherbrooke. L’entreprise a aussi mis en place différents points de chute en milieu de travail afin que les consommateurs puissent récupérer plus facilement leurs paniers de légumes (Théroux, 2008a).
La Clé des Champs participe ainsi à la relocalisation de l’alimentation dans le milieu, à la diversification de l’agriculture, au renforcement de l’identité camilloise ainsi qu’à la vitalité économique de Saint-Camille.
Les fermettes du Rang 13
Le Rang 13 est un ensemble résidentiel issu d’une démarche concertée entre des citoyens camillois, la municipalité et la Corporation de développement socioéconomique de Saint-Camille (Klein et collab., 2015). En réponse aux défis démographiques et dans la veine d’un ambitieux plan de développement (RQVVS, s.d.), cette initiative vise à attirer de nouvelles familles dans la communauté afin qu’elles y habitent de façon permanente et y développent des projets.
En collaboration avec un propriétaire foncier qui détenait 121 hectares de terres en périphérie du village, la municipalité et ses partenaires ont aménagé et mis en vente, à des prix abordables, 25 terrains de 2 à 8 hectares en établissant certaines conditions d’achat, dont la construction de résidences permanentes (aucun chalet ou résidence secondaire admis) dans un délai de cinq ans maximum et le démarrage d’un projet agricole ou forestier. La construction de résidences écologiques (p. ex., des résidences en ballots de paille, l’installation de bassins de sédimentation pour le traitement des eaux grises, etc.) et la culture maraîchère biologique sont aussi encouragées (Béïque, 2009; Klein et collab., 2015). À ce jour, 25 familles y ont construit leur maison et y opèrent des initiatives ou des petites entreprises agroforestières (RQVVS, s.d.), tels que Rustique Apicutlure.
L’initiative du Rang 13 a mené à des investissements de plus de 3,5 M$ dans l’économie locale et régionale, en plus d’avoir participé à la création d’emplois et la consolidation des services de proximité (Béïque, 2009).
La coopérative Cultur’Innov
Cultur’Innov est une coopérative de solidarité fondée en 2017. Celle-ci offre des services-conseils aux personnes, aux entreprises ou aux organismes qui souhaitent démarrer des projets d’agroforesterie ou de cultures émergentes : argousier, sureau, camérisier, noix, champignons, plantes médicinales, etc. (Cultur’Innov, 2018). Accréditée par le réseau Agriconseils, la coopérative offre une gamme complète de services, tels que l’accompagnement dans l’élaboration d’un projet de culture, la caractérisation d’un terrain, l’implantation et le suivi d’une production ou encore la transformation et la mise en marché des produits. Cultur’Innov offre plusieurs formations sur les cultures émergentes et cultive des parcelles à des fins expérimentales. La coopérative favorise ainsi le partage des expériences et des expertises et le transfert de connaissances vers les acteurs locaux, en plus de stimuler le démarrage d’entreprises agricoles et de favoriser la relève sur le territoire camillois.
Saint-Camille aujourd’hui
Une augmentation de 17 % de sa population entre 2003 et 2013 fait de Saint-Camille une municipalité de 530 habitants aujourd’hui, alors que la population était de 440 en 2001. La moyenne d’âge de 39 ans est bien en dessous de la moyenne régionale – 46 ans pour la MRC des Sources (Corporation de développement socioéconomique de Saint-Camille, s.d.; Canada. Statistique Canada, 2016). À Saint-Camille, c’est le plein emploi. On compte plus d’une trentaine d’entreprises, coopératives et organismes dans le milieu, ce qui participe à la création d’emplois, à la diversification des services de proximité et au dynamisme de la collectivité. La mise en valeur du territoire et des activités agricoles, notamment grâce au plan stratégique de développement adopté par la municipalité en 2008 (Municipalité du Canton de Saint-Camille, 2008), a directement contribué à cette relance démographique et économique.
Bilan et perspectives
- Une population fortement mobilisée et impliquée qui s’engage dans les projets, de leur conception jusqu’à leur mise en uvre;
- Des outils de gouvernance innovants (Corporation de développement socioéconomique, fonds d’investissement de proximité, forums municipaux, etc.) qui encouragent la participation citoyenne et contribuent à la consolidation et à la pérennité d’initiatives structurantes;
- Un leadership partagé au sein de la communauté qui s’appuie sur la coopération entre les différents acteurs territoriaux (citoyens, organismes, entreprises, municipalité, etc.) et leur reconnaissance mutuelle;
- Des lieux de rencontre (le P’tit Bonheur, le centre communautaire multifonctionnel, etc.) qui renforcent le tissu social et facilitent le réseautage, la concertation citoyenne et la prise en charge collective d’enjeux locaux;
- Des actions, activités, commerces et services qui répondent à des besoins réels exprimés par la communauté;
- Une collectivité qui conçoit l’alimentation comme un vecteur de revitalisation pour attirer de nouveaux arrivants, dynamiser l’économie locale et créer un milieu de vie de qualité;
- Des lots résidentiels éloignés (comme ceux du Rang 13, par exemple) qui peuvent encourager l’étalement urbain et créer un risque de tension entre les nouveaux arrivants et ceux qui sont installés depuis plus longtemps au cur du village;
- Dans une optique de développement viable de la collectivité à long terme et afin d’éviter toute pression inutile sur les terres agricoles et les milieux naturels, les futurs développements résidentiels devraient être réorientés vers la centralité existante afin de limiter l’étalement et de consolider le noyau villageois, tout en préservant la vocation nourricière des projets mis en uvre.