Adapter les milieux de vie au vieillissement, à l’hiver et aux changements climatiques
Des aînés aussi actifs que leur milieu de vie le permet
Les collectivités québécoises sont de celles qui vieillissent le plus rapidement au monde. Les aînés représentaient moins d’un cinquième de la population québécoise en 2016 (Canada. Statistique Canada, 2016) et en constitueront plus du quart en 2036 (Québec. ISQ, 2014).
Bien que la majorité des aînés québécois atteignent la recommandation de base de l’Organisation mondiale de la santé en matière d’activité physique par la réalisation de leurs loisirs et de leurs déplacements (Blanchet et collab., 2014), il n’en demeure pas moins que, quel que soit le pays, les résidents de quartiers denses font chaque semaine entre 68 et 89 minutes d’activité physique de plus que les habitants des couronnes suburbaines (Sallis et collab., 2016).
De même, au Québec comme aux États-Unis, la part des aînés vivant ou se déplaçant sans voiture est proportionnelle à la taille de l’agglomération et à la densité du quartier qu’ils habitent (Lewyn, 2018; Vandersmissen, 2012).
Des milieux de vie et des options de mobilité inadaptés aux aînés
Près de deux aînés québécois sur trois vivent dans les couronnes suburbaines d’après-guerre des régions métropolitaines (Séguin, 2012). Ces milieux de vie sont étalés, façonnés par et pour la voiture (Negron-Poblete et collab., 2017) et hostiles pour les piétons (Day, 2010; Lachapelle et Cloutier, 2017; Michael, Green et Farquhar, 2006). Les transports collectifs y sont inadaptés aux besoins des aînés, qui se déplacent surtout à des heures et vers des destinations mal desservies (Vandersmissen, 2012). L’aménagement des trottoirs et des intersections compromet leur sécurité en ne prenant pas en considération le déclin de leur vitesse de marche, de leur énergie et de leurs capacités cognitives, visuelles, auditives, spatiales et proprioceptives (Huguenin-Richard et collab., 2014).
Des conditions hivernales dangereuses pour les aînés
Les conditions hivernales compromettent la santé et la sécurité réelle et perçue des aînés. L’obscurité hivernale affecte le rythme circadien des individus, les rendant plus amorphes et moins enclins à sortir bouger. L’hiver exacerbe l’isolement des aînés qui ne peuvent plus se déplacer ou qui s’en abstiennent pour ne pas s’exposer au danger (Morales, Gamache et Edwards, 2014). Les trottoirs accidentés, en forte pente ou jonchés d’accumulations de neige et de glace rendent pénibles les déplacements des aînés, particulièrement pour ceux utilisant une aide à la mobilité. L’entretien lacunaire des trottoirs entraîne d’innombrables chutes qui détériorent considérablement leur état de santé (Negron-Poblete, 2015). Ces incidents évitables, qui reflètent une prise en compte inadéquate des limites des capacités des personnes vulnérables, causent 85 % des hospitalisations pour blessures chez les aînés (Canada. ASPC, 2014).
Des changements climatiques qui appellent des mesures adaptées
L’hiver québécois se transformera considérablement au cours des prochaines décennies, en vertu de l’augmentation des températures, des précipitations de pluie, des accumulations de verglas et des épisodes de redoux ainsi que de la diminution de la période d’enneigement qu’entraîneront les changements climatiques (Ouranos, 2015). Pour augmenter leur résilience et réduire leur vulnérabilité, les collectivités québécoises doivent tenir compte de cette exacerbation de l’imprévisibilité des conditions hivernales. Le succès de leurs mesures d’aménagement et de design actif dépendra de leur degré d’adaptation aux évolutions climatiques et démographiques à long terme.
Aménager des villes d’hiver qui marchent et font marcher
Les collectivités viables propices à la mobilité active des aînés sont constituées de quartiers compacts, complets, aménagés à l’échelle humaine et structurés par un réseau de rues principales et d’espaces publics dont la conception conviviale pour les piétons et la programmation diversifiée invitent à la marche en toute saison (Beske et Dixon, 2018). Cette approche s’appuie sur des efforts coordonnés de l’échelle du quartier à celle de l’espace public.
Des quartiers des courtes distances qui protègent les plus vulnérables
Localiser les activités à proximité des résidences, dans des centralités locales accessibles à pied, permet de réduire les distances à parcourir sur des trottoirs enneigés pour fréquenter les commerces et profiter des équipements collectifs.
Assurer les déplacements actifs sécuritaires des aînés en période hivernale exige d’adapter l’aménagement des intersections et d’implanter des mesures d’apaisement de la circulation pour accorder une place accrue aux personnes plus vulnérables. De telles démarches prolifèrent dans les villes canadiennes et états‑uniennes, notamment car la plupart se sont ralliées au cours des dernières années à la « Vision zéro » adoptée par le parlement suédois en 1997.
Chacun son rythme
Les aînés ont besoin de temps de traverse allongés, de distances réduites à l’aide de saillies de trottoir et de traversées en deux temps, par exemple grâce à des îlots de refuge aménagés dans les terre-pleins centraux et déneigés aussi rapidement que les trottoirs, surtout lorsque les intersections sont ponctuées d’andains de neige difficiles à franchir ou à contourner. À Tilbourg, aux Pays-Bas, une application mobile connectée à des capteurs dans des feux de circulation interactifs permet d’adapter le phasage aux contraintes des piétons. Aménager des traverses surélevées est encore plus sécuritaire, car la neige et l’eau de fonte ne s’y accumulent pas lors de précipitations.
Joindre l’utile à l’agréable
Pour se déplacer à pied l’hiver en toute sécurité, les aînés ont aussi besoin que le nombre de voies, la largeur des chaussées et la vitesse de circulation soient tous trois réduits sur les axes principaux. Border ces axes de trottoirs larges, rapidement déneigés, ponctués de mobilier urbain, bien éclairés et séparés de la chaussée par des zones tampons végétalisées permet de renforcer leur sécurité réelle et perçue, d’égayer le paysage hivernal, de faire écran visuel et sonore, d’offrir de l’ombre en été et de protéger des intempéries en toute saison.
Un entretien soutenu
Il est également bénéfique d’accorder un soin particulier à l’entretien hivernal des corridors piétonniers les plus achalandés. Les appareils munis de balais rotatifs, utilisés avec succès sur les pistes cyclables, permettent d’éviter que la neige piétinée devienne glissante, en plus de réduire de 30 % l’épandage de sel grâce à l’utilisation de saumure. À cet effet, pour assurer une protection optimale des usagers les plus vulnérables, les autorités suédoises déneigent en priorité les trottoirs et les corridors d’accès aux stations de transport collectif, aux garderies, aux écoles et aux établissements de santé.
Des espaces publics qui font vivre l’hiver sans le subir
La forme et l’orientation du cadre bâti ainsi que le choix des matériaux et des végétaux influencent fortement la convivialité du climat local dans les espaces publics, tout particulièrement en hiver. Au pied des tours se forment des corridors de vent et des canyons d’ombre qui dissuadent la marche et le prélassement en toute saison et qui peuvent rendre ces activités impossibles pour des aînés durant la saison froide. L’eau de fonte et la glace qui s’accumulent dans des cuvettes aux intersections des trottoirs et des rues entravent la marche et accroissent considérablement les risques de chute, en période de regel.
Créer des microclimats tempérés influence favorablement la perception de la météo et de la température, surtout par temps froid, humide, pluvieux et venteux – un cocktail météo hivernal appelé à se généraliser avec les changements climatiques. Animer les espaces publics intérieurs qui bordent les parcs et les places permet aux gens d’entrer se réchauffer et se sécher tout en continuant à profiter de l’ambiance festive. Pour ce faire, Edmonton traite l’hiver comme son allié, en matière d’attractivité et d’amusement : elle agrémente ses rues principales de bâtiments colorés, de placettes animées et d’éclairage ludique, et elle déploie dans ses parcs des terrasses temporaires assorties de tentes offrant des foyers, des boissons chaudes et une ambiance festive dont profitent pleinement jeunes et moins jeunes.
Pour aller plus loin… des balises d’aménagement climatique
Redonner la priorité aux personnes plutôt qu’aux véhicules contribue à rehausser l’accessibilité, la convivialité et l’équité des environnements bâtis et des options de mobilité ainsi que la qualité de vie, la santé et la sécurité des résidents de tous âges, tous genres, toutes origines et tous profils socioéconomiques (Gehl, 2012). Adapter les milieux de vie aux limites des capacités des plus vulnérables les rend propices aux déplacements actifs sécuritaires et à la pratique d’activités physiques et de socialisation en toute saison. Permettre aux aînés d’adopter un mode de vie physiquement actif même l’hiver rend ainsi le Québec plus résilient et moins vulnérable face aux changements climatiques.
Pour ce faire, chercheurs et praticiens en aménagement s’efforcent de développer des balises d’aménagement climatique du réseau viaire qui accroissent la canopée et l’espace dédié aux piétons et aux cyclistes. Le design actif en contexte hivernal ainsi que les exemples canadien, néerlandais et suédois susmentionnés proposent une marche à suivre explicite pour les collectivités québécoises.