Le contexte de vieillissement démographique
De plus en plus de Québécois font partie du groupe très diversifié des « aînés ». En 2016, la population de 65 ans et plus représentait 18 % de la population totale du Québec, alors que ce pourcentage atteindra 26 % en 2036, selon les prévisions (Statistique Canada, 2016; Québec. ISQ, 2014).
Le vieillissement intervient de manière inégale sur le territoire. Certaines régions connaissent un vieillissement démographique accéléré (p. ex. Gaspésie-Îles-de-la-Madeleine : 65 % d’aînés), tandis que d’autres (p. ex. Nord-du-Québec : 8 % d’aînés) sont composées d’une population plutôt jeune (Québec. ISQ, 2018). La proportion de personnes âgées varie en outre au sein des régions et même au sein des quartiers (Séguin, Apparicio et Negron-Poblete, 2012). Les municipalités auront donc à tenir compte de ces différentes réalités dans leurs interventions d’aménagement et leur gestion.
La spécificité des besoins des aînés dans l'aménagement
La catégorie « aînés » regroupe une grande diversité des profils. Les réalités sont très différentes selon l’âge, le genre, le statut socioéconomique et les capacités et incapacités de chaque individu. Les besoins et les contraintes évoluent par ailleurs avec l’avancée en âge (changement de la composition du ménage à cause du décès du conjoint, problèmes de santé, incapacités, etc.), avec des conséquences importantes sur les municipalités.
Besoins de logement
Contrairement aux idées reçues, seuls 3,9 % des aînés sont hébergés dans le système public (ressources intermédiaires, ressources de type familial ou CHSLD), alors que la majorité d’entre eux vivent à domicile (CRV et CAMF, 2016), où ils souhaitent vieillir.
Lorsque ce n’est plus possible, le déménagement devient une préoccupation importante pour une personne aînée si sa communauté n’offre pas de milieu de vie ou de logement correspondant à ses besoins, ou si les logements adaptés ne sont pas abordables (Simard, 2018; CRV et CAMF, 2016; Séguin et collab., 2017). Le défi est majeur en milieu rural et en région, où l’offre de logement est moins diversifiée qu’en milieu urbain, surtout pour les populations qui ont des besoins particuliers ou qui sont en perte d’autonomie (CRV et CAMF, 2016).
Besoins de mobilité
Beaucoup d’aînés sont susceptibles de conduire pour se déplacer, puisque 69 % d’entre eux détiennent un permis de conduire (Negron-Poblete et Séguin, 2018). Cette proportion baisse toutefois avec l’âge : elle passe à 32 % chez les personnes de 85 à 89 ans, puis à 12 % chez les personnes de 90 ans et plus.
Avec l’âge, les personnes âgées ont tendance à réduire les distances parcourues en voiture et à fréquenter des lieux plus près de leur domicile (Lord et Després, 2011). L’absence de commerces et de services du quotidien dans le milieu de vie a des conséquences en matière d’isolement social et de santé pour les aînés en perte d’autonomie (Mercille, 2013; OMS, 2007).
L’accessibilité des destinations et la qualité des parcours s’avère cruciale pour cette tranche de la population. Cela soulève des questions quant à la sécurité, à la continuité et à la convivialité des parcours, mais aussi quant à l’offre de transport collectif, qui est largement conçue pour répondre aux besoins de la population active et en santé. Trois améliorations permettraient de répondre aussi aux besoins de toute la cette clientèle : améliorer l’accessibilité économique (p. ex. avec des tarifs réduits) et la convivialité du transport en commun (p. ex. avec des autobus à niveau) et augmenter la fréquence en dehors des heures de pointe, puisque les aînés ont tendance à se déplacer davantage à d’autres moments de la journée.
Besoins de services et d’activités
La demande des personnes âgées concernant les commerces et les services diffère de celles d’autres groupes d’âge. Les aînés ont tendance à parcourir de plus courtes distances, surtout lorsqu'ils ne conduisent plus. Il est donc essentiel de tenir compte de la localisation des activités. Le manque d’épiceries et de restaurants à distance de marche ou encore l’absence de services de livraison constituent des obstacles pour eux. Certains préfèrent acheter de plus petites quantités à la fois et visite ces commerces plus souvent. L’offre de proximité, avec des petits et des moyens formats de magasins ou de services publics, est donc la plus adaptée pour ce groupe d’âge. En particulier, la question de l’accès aux établissements de santé (CLSC, hôpital, etc.) et aux pharmacies acquiert une importance prépondérante pour les personnes âgées.
Les aînés étant en grande majorité retraités, ils sont nombreux à souhaiter pratiquer des loisirs qui ne soient pas nécessairement liés à la consommation. S’ils sont souvent considérés comme un fardeau pour la société actuelle et future, on oublie qu’ils peuvent jouer un rôle actif dans la société, notamment par l’implication citoyenne, l’engagement bénévole, l’aide qu’ils apportent à la famille et aux proches, et qu’ils ont un impact sur le succès des commerces, l’animation des espaces publics et la cohésion sociale.
Besoins de confort et de sécurité
La qualité de l’environnement urbain, et notamment son niveau de confort et de sécurité, joue aussi un rôle important dans la réalité des aînés. Le risque de vivre un inconfort lié, par exemple, à l’absence de bancs publics, de toilettes publiques ou d’ombre dans un espace public, peut limiter les sorties et contribuer à l’isolement. Il en est de même de la sécurité réelle et perçue d’un environnement, liée par exemple à la circulation automobile, à la fréquentation du lieu ou à la criminalité (Buffel et collab., 2012). Toutes ces questions relèvent de l’aménagement des espaces publics et de la planification des équipements et des services offerts à la population.
Les municipalités sont encore peu préparées à répondre au vieillissement
Les implications du phénomène de vieillissement en matière d’aménagement du territoire sont encore méconnues ou sous-estimées et risquent de prendre un grand nombre de municipalités par surprise.
L’adaptation des municipalités aux enjeux démographiques
Dix ans après le lancement de la démarche Municipalité amie des aînés (MADA), en 2008, plus de 700 municipalités et MRC ont entrepris de l’appliquer à leur territoire (MADA, 2011). Le volet aménagement urbain fait partie de la démarche, mais la complexité de sa mise en œuvre et les freins liés aux changements de pratique font en sorte qu’il est plus difficile d’intervenir dans ce domaine. Il est essentiel d’arrimer les différentes stratégies et politiques publiques et l’aménagement du territoire et de développer un « réflexe aînés » lors de la planification du territoire et des infrastructures et de l’analyse des projets immobiliers.
Des tendances d’aménagement peu favorables aux aînés
Planification du territoire
L’étalement urbain, l’éparpillement et l’éloignement des commerces et des services, l’aménagement en fonction de l’automobile et ses différentes implications (p. ex. la difficulté d’offrir un réseau de transport en commun efficace, le débit et la vitesse automobiles, le nombre et la longueur des déplacements) créent des milieux de vie peu favorables à un vieillissement actif et, de manière générale, aux personnes âgées.
Gestion des rues et de la mobilité
Le manque de convivialité des rues et des routes, voire l’oubli des déplacements actifs dans leur conception (absence de trottoir ou de traverse piétonnière, culs-de-sacs qui imposent des détours) dissuadent les gens de se déplacer à pied ou à vélo (Negron-Poblete et Séguin, 2018). Le temps de traversée aux lumières, la présence de bancs pour se reposer ou de places publiques pour se retrouver, le bon état des trottoirs et leur déneigement pour diminuer les risques de chutes font toute la différence pour les aînés en perte de mobilité. Enfin, lorsque conduire n’est plus une option, il est crucial que les personnes âgées puissent aussi compter sur une offre satisfaisante de transport collectif.
Spécialisation résidentielle
Tandis que la plupart des municipalités favorisent les projets résidentiels destinés aux familles, certaines se spécialisent dans les résidences pour personnes âgées. La question de la localisation de ces résidences sur le territoire de la municipalité est alors primordiale pour que leurs résidents puissent combler leurs besoins (par ex., achats, loisirs, rendez-vous médicaux) et vaquer à leurs occupations, tout en contribuant à l’animation de leurs quartiers et à la rentabilité des investissements de leur municipalité dans l’espace public et dans l’offre de transport de commun.
Les avantages d’une approche inclusive
Des espaces publics plus conviviaux ou des déplacements actifs non seulement possibles, mais agréables, sont autant d'élément qui permettent aux aînés de demeurer physiquement actifs et impliqués dans leur communauté. La bonne nouvelle, c'est que toutes ces modifications du cadre bâti d'une municipalité améliorent la qualité des milieux de vie et profitent à l'ensemble de la population.